DISSERTATION
SUR LES
PROVINCES UNIES.
;En'est. pas sans scrupule que j'en-
treprens cette matière. Je vais
paner chez tous les Anti-républi-
cains pour un flateur, ou pour
un prévenu. La flaterie & la pré-
vention sont ordinairement des
écueils pour ceux qui écrivent ou
de leur Patrie, ou du pais dont ils
respirent Pair. On ne veut point s'attirer la haine des
Compatriotes; on aime à leur faire plaisir, & d'ailleurs
on suit son panchant,pour dire du bien d'un Etat avec
qui l'on a une relation aussi intime qu'est celle de la
vie. Je ne m'engage point à mivre infailliblement le
chemin de la Venté. Je suis tout Hollandois d'incli-
nation , je fais gloire de le déclarer ; & cela suffit, je
l'avoue, pour me rendre suspeét. Mais je promets de
veiller soigneusement. sur le préjugé, je tâcherai qu'il
ne me seduise point ; & comme je n'attens de mes
Maitres d'autre fortune que celle de me îaisser vivre
jusqu'à la fin sous la douceur de ce Gouvernement, je
n'ai aucun sujet de me tenir sur mes gardes contre les
impressions de rinterèt. Cest atfez préluder , com-
mençons.
Il n'y a rien dans le Monde qui n'ait ses utilitez. La
disgrace est la carrière de la fermeté philosophique,
ou de la constance Chrétienne. Les maladies nous
aprennent à ménager lasanté, dont elles découvrent
tout le prix ; & la certitude d'une mort, qui peut arri-
ver à tous momens, est un puissant motif aux esprits
bien faits pour mépriser la vie, & pour s'accom-
moder à son destin. On ne sait où j'en veux venir;
je ne suis pourtant pas fort loin de mon but. Il
n'y a pas jusqu'à l'orgueil, jusqu'à l'humeur impla-
cable des Tyrans, qui ne produise indirectement de sa-
lutaires effets sur la Terre. Si la domination de Tar-
quin le superbe avoit été plus humaine, Rome n'eût
pas brisé ses fers ; les Romains n'eulsent pas fourni un
exemple héroïque de ce que peut la Liberté, tant qu'el-
le sait se contenir dans les bornes de la Raison. Me
voici tombé dans mon sujet. L'illustre & fameuse
République sur laquelle je résséchis,ne doit-ellepavS
autli sa naisfance aux rigueurs & à la cruauté d'unSou-
verain ? Elle a été formée au milieu des violences &
des massacres; elle a pris son origine dans le sang;
mais elle ne seroit point, sans ces desordres asfreux. Il
faloit un Philippe Second sur le Trône d'Espagne,
parce que ces Provinces dévoient être heureuses,'par-
ce que l'Europe avoit besoin d'une Hollande ;& pour
peu que ce Monarque eût été plus traitable, il est fort
apparent que nos Habitans, & que la meilleure partie
de l'Europe gémiraient aujourd'hui sous le même
joug- Quoique cette révolution soit si connue, je
ne puis me dispenser d'en rapeller le sou venir. On
verra dans cette peinture un courage invicible, en
oppoiition avec une inhumanité qui ne se rebute
point. On verra un Prince oublier absolument,
qu'il est homme, pour ne point celTer d'être Maitre ;
& l'on va voir de véritables hommes périr, & bra-
ver la sureur allumée du Tyran, plutôt que d'être
esclaves. L'un est la suite déplorable du pouvoir
Monarchique, & l'autre est un glorieux esfet de
l'amour de la Liberté.
Malheureusement Philippe Second n'avoit point
succedé aux sentimens de Charles-Quint pour jes pa-_js_
bas.Celui-ci,Flamand de naissance & d'éducation,
aimoit ses Compatriotes. Sans répugnance, &sans
faste,ils'ajustoit à leurs manières. Cette Nation est
bonne, lui fait-on dire, «Se quoiqu'elle haïlse souve-
rainement la servitude, il n'y en a pas une plus facile
à soumettre. Cet éloge, de la bouche d'un Empereur
qui devoit bien connoitre le génie dominant de cha-
que Nation, est glorieux pour les Flamans. Cest à
dire, que sous un Gouvernement doux & raisonnable
il n'y a point de meilleurs Sujets, & que ce sont des
Lions indomtables sous un Tyran. Philippe, d'un
naturel dur, & de plus élevé dans toute la hauteur
Espag^nole, avoit de l'éloignement pour ces Provin-
ces. Si-tôt qu'on lui eut cédé la Couronne, il se hâta
d'en sortir, & leur dit en les quittant un adieu éternel
Il ne fut pas longtems à Madrid sans recevoir de mau-
vaises nouvelles du Païs-Bas. Les Grands y conçurent
une violente jalousie contre le Cardinal Granveîle,
homme dévoué au Despotisme de son Maitre, &que
Philippe avoit lailsé à la Gouvernante pour être son
Ministre secret, & son Oracle caché. Les Moines,
peuple formidable, étoient ausîi mécontens. Le Roi
voulant ériger aux dépens des Abbayes certain nom-
bre d'Evêchez, dont il auroit la nomination, le Ca-
puchon se herisfa, ce qui n'étoit pas la moins dan°-e-
reuse faction. Le grand feu s'alluma sur l'Autel ,°&
sortit du Sanétuaire. La nouvelle Doctrine faisoit des
progrès en Flandres. Moitié persuasion, moitié in-
terêt,cette milice naissante fit plusieurs conquêtes par-
mi la première Noblesfe. Charles-Quint, à qui la Ré-
sormation avoit donné tant d'exercice, fit ce qu'il put
pour en priver ses chers Flamans. 11 fut même persé-
cutcur, & il l'auroit été davantage, nonobstant sa
bonté naturelle, si la Reine d'Hongrie, sàsœur,&
Gouvernante des Pais-bas, n'eût calmé par sessages
avis, les agitations du zèle, ou plutôt de la politique
de l'Empereur. Philippe ne marcha pas sur ces traces.
Sa Catholicité jettoit feu & ssammes. Il eût voulu
pouvoir réduire en cendres tous ces maudits héréti-
ques sur un seul bûcher. N'allez pas vous imaginer
que sa bonne conseience le rendît si furieux. Non,
non, il y avoit beaucoup du Monarchisme dans son
fait ; ( car le Monarchisme est un grand brûleur pour
la gloire de Dieu.) Philippe ayant l'ame d'un Alexan-
dre , à la valeur près, & méditant rassujetissement des
deux Mondes, avoit besoin du Pape. Je le croi vrai-
ment ! Qui auroit donné des Bulles à ce Conquérant
en idées, pour légitimer fes usurpations?
Ce Monarque ayant donc resolu de battre en ruïne
la prétendue héreue, crut ne pouvoir mieux s'y pren-
dre qu'en la condamnant aux ssammes de l'Inquiution.
Ausimple bruit de ce dessein, les Flamans prennent
^r l'allar-
SUR LES
PROVINCES UNIES.
;En'est. pas sans scrupule que j'en-
treprens cette matière. Je vais
paner chez tous les Anti-républi-
cains pour un flateur, ou pour
un prévenu. La flaterie & la pré-
vention sont ordinairement des
écueils pour ceux qui écrivent ou
de leur Patrie, ou du pais dont ils
respirent Pair. On ne veut point s'attirer la haine des
Compatriotes; on aime à leur faire plaisir, & d'ailleurs
on suit son panchant,pour dire du bien d'un Etat avec
qui l'on a une relation aussi intime qu'est celle de la
vie. Je ne m'engage point à mivre infailliblement le
chemin de la Venté. Je suis tout Hollandois d'incli-
nation , je fais gloire de le déclarer ; & cela suffit, je
l'avoue, pour me rendre suspeét. Mais je promets de
veiller soigneusement. sur le préjugé, je tâcherai qu'il
ne me seduise point ; & comme je n'attens de mes
Maitres d'autre fortune que celle de me îaisser vivre
jusqu'à la fin sous la douceur de ce Gouvernement, je
n'ai aucun sujet de me tenir sur mes gardes contre les
impressions de rinterèt. Cest atfez préluder , com-
mençons.
Il n'y a rien dans le Monde qui n'ait ses utilitez. La
disgrace est la carrière de la fermeté philosophique,
ou de la constance Chrétienne. Les maladies nous
aprennent à ménager lasanté, dont elles découvrent
tout le prix ; & la certitude d'une mort, qui peut arri-
ver à tous momens, est un puissant motif aux esprits
bien faits pour mépriser la vie, & pour s'accom-
moder à son destin. On ne sait où j'en veux venir;
je ne suis pourtant pas fort loin de mon but. Il
n'y a pas jusqu'à l'orgueil, jusqu'à l'humeur impla-
cable des Tyrans, qui ne produise indirectement de sa-
lutaires effets sur la Terre. Si la domination de Tar-
quin le superbe avoit été plus humaine, Rome n'eût
pas brisé ses fers ; les Romains n'eulsent pas fourni un
exemple héroïque de ce que peut la Liberté, tant qu'el-
le sait se contenir dans les bornes de la Raison. Me
voici tombé dans mon sujet. L'illustre & fameuse
République sur laquelle je résséchis,ne doit-ellepavS
autli sa naisfance aux rigueurs & à la cruauté d'unSou-
verain ? Elle a été formée au milieu des violences &
des massacres; elle a pris son origine dans le sang;
mais elle ne seroit point, sans ces desordres asfreux. Il
faloit un Philippe Second sur le Trône d'Espagne,
parce que ces Provinces dévoient être heureuses,'par-
ce que l'Europe avoit besoin d'une Hollande ;& pour
peu que ce Monarque eût été plus traitable, il est fort
apparent que nos Habitans, & que la meilleure partie
de l'Europe gémiraient aujourd'hui sous le même
joug- Quoique cette révolution soit si connue, je
ne puis me dispenser d'en rapeller le sou venir. On
verra dans cette peinture un courage invicible, en
oppoiition avec une inhumanité qui ne se rebute
point. On verra un Prince oublier absolument,
qu'il est homme, pour ne point celTer d'être Maitre ;
& l'on va voir de véritables hommes périr, & bra-
ver la sureur allumée du Tyran, plutôt que d'être
esclaves. L'un est la suite déplorable du pouvoir
Monarchique, & l'autre est un glorieux esfet de
l'amour de la Liberté.
Malheureusement Philippe Second n'avoit point
succedé aux sentimens de Charles-Quint pour jes pa-_js_
bas.Celui-ci,Flamand de naissance & d'éducation,
aimoit ses Compatriotes. Sans répugnance, &sans
faste,ils'ajustoit à leurs manières. Cette Nation est
bonne, lui fait-on dire, «Se quoiqu'elle haïlse souve-
rainement la servitude, il n'y en a pas une plus facile
à soumettre. Cet éloge, de la bouche d'un Empereur
qui devoit bien connoitre le génie dominant de cha-
que Nation, est glorieux pour les Flamans. Cest à
dire, que sous un Gouvernement doux & raisonnable
il n'y a point de meilleurs Sujets, & que ce sont des
Lions indomtables sous un Tyran. Philippe, d'un
naturel dur, & de plus élevé dans toute la hauteur
Espag^nole, avoit de l'éloignement pour ces Provin-
ces. Si-tôt qu'on lui eut cédé la Couronne, il se hâta
d'en sortir, & leur dit en les quittant un adieu éternel
Il ne fut pas longtems à Madrid sans recevoir de mau-
vaises nouvelles du Païs-Bas. Les Grands y conçurent
une violente jalousie contre le Cardinal Granveîle,
homme dévoué au Despotisme de son Maitre, &que
Philippe avoit lailsé à la Gouvernante pour être son
Ministre secret, & son Oracle caché. Les Moines,
peuple formidable, étoient ausîi mécontens. Le Roi
voulant ériger aux dépens des Abbayes certain nom-
bre d'Evêchez, dont il auroit la nomination, le Ca-
puchon se herisfa, ce qui n'étoit pas la moins dan°-e-
reuse faction. Le grand feu s'alluma sur l'Autel ,°&
sortit du Sanétuaire. La nouvelle Doctrine faisoit des
progrès en Flandres. Moitié persuasion, moitié in-
terêt,cette milice naissante fit plusieurs conquêtes par-
mi la première Noblesfe. Charles-Quint, à qui la Ré-
sormation avoit donné tant d'exercice, fit ce qu'il put
pour en priver ses chers Flamans. 11 fut même persé-
cutcur, & il l'auroit été davantage, nonobstant sa
bonté naturelle, si la Reine d'Hongrie, sàsœur,&
Gouvernante des Pais-bas, n'eût calmé par sessages
avis, les agitations du zèle, ou plutôt de la politique
de l'Empereur. Philippe ne marcha pas sur ces traces.
Sa Catholicité jettoit feu & ssammes. Il eût voulu
pouvoir réduire en cendres tous ces maudits héréti-
ques sur un seul bûcher. N'allez pas vous imaginer
que sa bonne conseience le rendît si furieux. Non,
non, il y avoit beaucoup du Monarchisme dans son
fait ; ( car le Monarchisme est un grand brûleur pour
la gloire de Dieu.) Philippe ayant l'ame d'un Alexan-
dre , à la valeur près, & méditant rassujetissement des
deux Mondes, avoit besoin du Pape. Je le croi vrai-
ment ! Qui auroit donné des Bulles à ce Conquérant
en idées, pour légitimer fes usurpations?
Ce Monarque ayant donc resolu de battre en ruïne
la prétendue héreue, crut ne pouvoir mieux s'y pren-
dre qu'en la condamnant aux ssammes de l'Inquiution.
Ausimple bruit de ce dessein, les Flamans prennent
^r l'allar-