8 DISSERTATION SUR LES CARTES DE LA GRÈCE.
roit une noble ardeur pour les en saire jouir. Par
rétendue de son discernement, il distinguoit les vrais
& folides avantages de la Société civile, il inven-
toit de justes moyens pour les procurer; &par fon
humanité, il saifoit de généreux efforts pour y réuffir.
Les fages Loix de notre Lycurgue furent un té-
moignage éclatant de ses vives & prosondes lumiè-
res ; mais voulez-vous un trait de fon bon cœur &
de fa rare probité ? le voici. Son frère Polydeéte
étant mort-, la veuve de ce Roi, qui Pâvoit laiffée
grotte, fit dire à fon beau-frere Lycurgue, que s'il
vouloit l'époufer, elle détruiroit Ion fruit, & que
par-là, elle procureroit à fon fécond mari la Cou-
ronne fans concurrent & fans compétiteur. Cette
mere dénaturée n'avoit pas trouvé fon homme ; Ly-
curguè eut horreur de la propofition, il refulà d'ache-
ter le Trône au prix de fon fang & de fa famille,
& la Reine étant accouchée d'un Prince, il en prit
foin, & lors qu'il fut en âge, son oncle le mit au
timon du Gouvernement. Cette action est char-
mante, sur-tout dans un Payen qui apparemment
n'esperoit pas d'autre vie que la présente; combien
de Princes.persuadez d'un dernier jugement, n'au-
roient pas été si scrupuleux? Lycurgue donc, uni-
quement occupé de la gloire & du bonheur de sa
Partie, Lycurgue n'ayant point d'autre ambition
que celle de rendre service a fes ^Concitoyens, leur
propofe une nouvelle sorme de Gouvernement. Ce
Fut d'établir deux Rois avec un Sénat. Ce tempé-
rament lui sembla le meilleur pour asfortir le pou-
voir du Prince avec la liberté des sujets. Le Sénat,
toujours attentis contre l'opprelfion, retenoit le
Souverain dans les bornes d'une autorité légitime ;
& ces deux Roisquipartageoientle Trône par moi-
tié, étoient rivaux, étaient compagnons * mais ils
n'étoient pas Maitres. Leur diftricl étoit d'ailleurs
fi limité, qu'ils ne pouvoient rien conclure sans le
confentement des Sénateurs. C'étoit aux Rois de
convoquer l'Affemblée, il leur étoit permis de la
rompre ; mais ils ne saifoient que recueillir , que
nombrer les fuffrages, & qu'exécuter les réfolutions.
On fe recrie à présent contre une telle adminiilra-
tion; elle paroît principalement infotitenàble aux
fauteurs de la Monarchie, En effet, il y a une op-
pofition formellement contradictoire entre la Royau-
té de Sparte & ces Etats, où la volonté abfolue,
& trop fouvent tyrannique du Monarque eft lefeul
mobile, & fait cette Loi fuprême qui devrait con-
fifter dans l'intérêt & dans le salut delà Nation.
Cependant Lacedemone a fubuïté huit cens ans dans
cette économie politique, & durant cette fiùte affez
longue de siecles, elle a sbutenu des guerres fans
murailles & sans remparts, elle a reculé fes srontiè-
res , elle a sleuri. Consérions aulïï que les Rois de
Sparte étoient bien éloignez du luxe & de la magni-
sicence de nos Princes. Ils vivoient à la bourgeoue,
& l'on auroit pu en établir une douzaine sans que
le peuple s'en fût appercu; au lieu que fi la mode
revenoit de fendre une Couronne en deux, ce ferait
un terrible furcroît de charge. Helas ! il y a tel
Royaume où il n'en saudrait pas davantage pour
achever de convertir toute une grande Nation en
hôpital.
Qui croirait qu'un plan de Régence, pareil à ce-
lui des Lacedemoniens, n'eût pas été tout-à-fait à
l'abri de l'ufurpation, & qu'il eût couru quelque rif-
que pour la Liberté ?L'Hiltoire nous apprend néan-
moins que cela sut. _ Tant le ferpent de l'ambition
se coule & se gliffe aifément ; tant les hommes font
sujets à se laiffer séduire par les apas trompeurs de
la sortune & de l'élévation. L'on reconnut à Sparte
que le Sénat commençoit à mollir, & que, fubor-
né par les Rois, il négligeoit ce précieux dépôt
de la sûreté publique, qu'on lui avoit consiée. Ce
peuple composé d'hommes, & non pas d'animaux
de charge; ce peuple,qui n'appréhendoit rien tant
que l'eiclavâge , courut au devant du mal. On
créa des Ephores, c'est-à-dire, fuivant la sonction
de leur emploi, des Gardiens, des Sentinelles, des
Surveillansjpour prévenir l'injustice & la violence,
& pour empêcher qu'on ne donnât atteinte au droit
naturel. Par ce moyen Lacedemone évita sagement
la tyrannie, ellese maintint long-temsdansfasplen-
deur, & elle ne retomba dans là première obscuri-
té, qui la conduifit enfin à une ruine totale > que
lors qu'elle fe ralentit de sa vigueur,& qu'elle lâcha
la bride à ses conducteurs. Plufieurs Nations, k
leur grand dommage, ont imité Sparte dans ce der-
nier article : mais où en trouver dans nos jours qui
suivent l'exemple de cet ancien Royaume dans les
mâles & courageux fentimens?Nous ne connoifTons
prefque qu'un leul Pais fur la Terre , où le Gou-
vernement de Lacedemone fubfifte encore 5 & où
cet efprit de liberté règne «Se fleurit à l'ombre d'une
puiffante Couronne. Heureux ces peuples > chez; qui
la haine de ja fervitude semble s'être résugiée, étant
là retranchée dans une Ile comme dans un Fort heu-
reux, s'ils peuvent conferver long-tems l'ineftima-
ble tréfor qu'ils poffedent de jouir d'eux-mêmes, &
d'obeïr à une Reine qui ne cherche que leur tonheur !
roit une noble ardeur pour les en saire jouir. Par
rétendue de son discernement, il distinguoit les vrais
& folides avantages de la Société civile, il inven-
toit de justes moyens pour les procurer; &par fon
humanité, il saifoit de généreux efforts pour y réuffir.
Les fages Loix de notre Lycurgue furent un té-
moignage éclatant de ses vives & prosondes lumiè-
res ; mais voulez-vous un trait de fon bon cœur &
de fa rare probité ? le voici. Son frère Polydeéte
étant mort-, la veuve de ce Roi, qui Pâvoit laiffée
grotte, fit dire à fon beau-frere Lycurgue, que s'il
vouloit l'époufer, elle détruiroit Ion fruit, & que
par-là, elle procureroit à fon fécond mari la Cou-
ronne fans concurrent & fans compétiteur. Cette
mere dénaturée n'avoit pas trouvé fon homme ; Ly-
curguè eut horreur de la propofition, il refulà d'ache-
ter le Trône au prix de fon fang & de fa famille,
& la Reine étant accouchée d'un Prince, il en prit
foin, & lors qu'il fut en âge, son oncle le mit au
timon du Gouvernement. Cette action est char-
mante, sur-tout dans un Payen qui apparemment
n'esperoit pas d'autre vie que la présente; combien
de Princes.persuadez d'un dernier jugement, n'au-
roient pas été si scrupuleux? Lycurgue donc, uni-
quement occupé de la gloire & du bonheur de sa
Partie, Lycurgue n'ayant point d'autre ambition
que celle de rendre service a fes ^Concitoyens, leur
propofe une nouvelle sorme de Gouvernement. Ce
Fut d'établir deux Rois avec un Sénat. Ce tempé-
rament lui sembla le meilleur pour asfortir le pou-
voir du Prince avec la liberté des sujets. Le Sénat,
toujours attentis contre l'opprelfion, retenoit le
Souverain dans les bornes d'une autorité légitime ;
& ces deux Roisquipartageoientle Trône par moi-
tié, étoient rivaux, étaient compagnons * mais ils
n'étoient pas Maitres. Leur diftricl étoit d'ailleurs
fi limité, qu'ils ne pouvoient rien conclure sans le
confentement des Sénateurs. C'étoit aux Rois de
convoquer l'Affemblée, il leur étoit permis de la
rompre ; mais ils ne saifoient que recueillir , que
nombrer les fuffrages, & qu'exécuter les réfolutions.
On fe recrie à présent contre une telle adminiilra-
tion; elle paroît principalement infotitenàble aux
fauteurs de la Monarchie, En effet, il y a une op-
pofition formellement contradictoire entre la Royau-
té de Sparte & ces Etats, où la volonté abfolue,
& trop fouvent tyrannique du Monarque eft lefeul
mobile, & fait cette Loi fuprême qui devrait con-
fifter dans l'intérêt & dans le salut delà Nation.
Cependant Lacedemone a fubuïté huit cens ans dans
cette économie politique, & durant cette fiùte affez
longue de siecles, elle a sbutenu des guerres fans
murailles & sans remparts, elle a reculé fes srontiè-
res , elle a sleuri. Consérions aulïï que les Rois de
Sparte étoient bien éloignez du luxe & de la magni-
sicence de nos Princes. Ils vivoient à la bourgeoue,
& l'on auroit pu en établir une douzaine sans que
le peuple s'en fût appercu; au lieu que fi la mode
revenoit de fendre une Couronne en deux, ce ferait
un terrible furcroît de charge. Helas ! il y a tel
Royaume où il n'en saudrait pas davantage pour
achever de convertir toute une grande Nation en
hôpital.
Qui croirait qu'un plan de Régence, pareil à ce-
lui des Lacedemoniens, n'eût pas été tout-à-fait à
l'abri de l'ufurpation, & qu'il eût couru quelque rif-
que pour la Liberté ?L'Hiltoire nous apprend néan-
moins que cela sut. _ Tant le ferpent de l'ambition
se coule & se gliffe aifément ; tant les hommes font
sujets à se laiffer séduire par les apas trompeurs de
la sortune & de l'élévation. L'on reconnut à Sparte
que le Sénat commençoit à mollir, & que, fubor-
né par les Rois, il négligeoit ce précieux dépôt
de la sûreté publique, qu'on lui avoit consiée. Ce
peuple composé d'hommes, & non pas d'animaux
de charge; ce peuple,qui n'appréhendoit rien tant
que l'eiclavâge , courut au devant du mal. On
créa des Ephores, c'est-à-dire, fuivant la sonction
de leur emploi, des Gardiens, des Sentinelles, des
Surveillansjpour prévenir l'injustice & la violence,
& pour empêcher qu'on ne donnât atteinte au droit
naturel. Par ce moyen Lacedemone évita sagement
la tyrannie, ellese maintint long-temsdansfasplen-
deur, & elle ne retomba dans là première obscuri-
té, qui la conduifit enfin à une ruine totale > que
lors qu'elle fe ralentit de sa vigueur,& qu'elle lâcha
la bride à ses conducteurs. Plufieurs Nations, k
leur grand dommage, ont imité Sparte dans ce der-
nier article : mais où en trouver dans nos jours qui
suivent l'exemple de cet ancien Royaume dans les
mâles & courageux fentimens?Nous ne connoifTons
prefque qu'un leul Pais fur la Terre , où le Gou-
vernement de Lacedemone fubfifte encore 5 & où
cet efprit de liberté règne «Se fleurit à l'ombre d'une
puiffante Couronne. Heureux ces peuples > chez; qui
la haine de ja fervitude semble s'être résugiée, étant
là retranchée dans une Ile comme dans un Fort heu-
reux, s'ils peuvent conferver long-tems l'ineftima-
ble tréfor qu'ils poffedent de jouir d'eux-mêmes, &
d'obeïr à une Reine qui ne cherche que leur tonheur !