flot la masse de la vie accumulée depuis deux siècles dans
les greniers, les granges, les bateaux du pays, les cœurs et les
cerveaux des hommes par le labeur de leurs champs, de leurs
villes, de leurs ports.
Il fit mieux. Nulle contrée n'était plus avantageusement
placée que la Flandre pour recueillir les courants qui tra-
versaient en tous sens l'Occident depuis deux siècles. Bruges
avait servi cent ans de trait d'union entre l'Angleterre, la
Baltique, Venise et l'Orient. Anvers était le premier port de
commerce du monde sous Charles-Quint. Elle drainait la
France par la Meuse et l'Escaut, l'Allemagne par le Rhin, les
Indes, l'Italie, les Espagnes par la mer. A l'heure critique où
le Nord et le Midi confrontaient leur activité séculaire, où le
problème religieux qui opposait l'idéalisme social des pays
latins au réalisme économique des pays germaniques, la
Flandre, cœur de l'Empire universel de Charles-Quint, tres-
saillait de tous les chocs que les artères du commerce lui
apportaient avec les marchandises, les livres et les soldats.
Luttant à la fois pour l'indépendance et la Réforme, elle resta
pays d'Empire et catholique. Il était naturel que l'homme qui
exprima avec une force éternelle ce moment unique de sa vie,
fît entrer l'intellectualisme méridional dans la matière subs-
tantielle, grasse et mouvante du Nord.
Les peintres de la Flandre s'y essayaient depuis cent ans.
Mais Bruges n'était plus assez vivante au début du
xvie siècle pour que ses romanisants, Jean de Mabuse et
Van Orley, pussent assimiler en profondeur et sans danger
l'âme italienne. Anvers, même à la fin de ce siècle, n'avait
au contraire pas encore atteint un degré de maturité suffi-
sant pour faire pénétrer cette âme dans la nature originelle
de la Flandre. La tentative de Quentin Matsys était préma-
turée, Martin de Voss, Conninxloo, Francken, le bon por-
traitiste Porbus n'étaient pas de taille, la tâche de Breughel,
Hollandais d'origine, qui dégagea l'esprit du Nord de sa
gangue primitive, était trop essentielle pour qu'il tentât
de trouver son accord avec l'esprit péninsulaire. Rubens eut
à peine besoin d'écouter ses deux maîtres, l'italianisant Otto
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les greniers, les granges, les bateaux du pays, les cœurs et les
cerveaux des hommes par le labeur de leurs champs, de leurs
villes, de leurs ports.
Il fit mieux. Nulle contrée n'était plus avantageusement
placée que la Flandre pour recueillir les courants qui tra-
versaient en tous sens l'Occident depuis deux siècles. Bruges
avait servi cent ans de trait d'union entre l'Angleterre, la
Baltique, Venise et l'Orient. Anvers était le premier port de
commerce du monde sous Charles-Quint. Elle drainait la
France par la Meuse et l'Escaut, l'Allemagne par le Rhin, les
Indes, l'Italie, les Espagnes par la mer. A l'heure critique où
le Nord et le Midi confrontaient leur activité séculaire, où le
problème religieux qui opposait l'idéalisme social des pays
latins au réalisme économique des pays germaniques, la
Flandre, cœur de l'Empire universel de Charles-Quint, tres-
saillait de tous les chocs que les artères du commerce lui
apportaient avec les marchandises, les livres et les soldats.
Luttant à la fois pour l'indépendance et la Réforme, elle resta
pays d'Empire et catholique. Il était naturel que l'homme qui
exprima avec une force éternelle ce moment unique de sa vie,
fît entrer l'intellectualisme méridional dans la matière subs-
tantielle, grasse et mouvante du Nord.
Les peintres de la Flandre s'y essayaient depuis cent ans.
Mais Bruges n'était plus assez vivante au début du
xvie siècle pour que ses romanisants, Jean de Mabuse et
Van Orley, pussent assimiler en profondeur et sans danger
l'âme italienne. Anvers, même à la fin de ce siècle, n'avait
au contraire pas encore atteint un degré de maturité suffi-
sant pour faire pénétrer cette âme dans la nature originelle
de la Flandre. La tentative de Quentin Matsys était préma-
turée, Martin de Voss, Conninxloo, Francken, le bon por-
traitiste Porbus n'étaient pas de taille, la tâche de Breughel,
Hollandais d'origine, qui dégagea l'esprit du Nord de sa
gangue primitive, était trop essentielle pour qu'il tentât
de trouver son accord avec l'esprit péninsulaire. Rubens eut
à peine besoin d'écouter ses deux maîtres, l'italianisant Otto
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