Vœnius et le flamingant Van Noort, pour découvrir en lui la
fatalité de son destin que les huit années qu'il passa en Italie
dans l'intimité des réalisations géantes de Tintoret et de
Michel-Ange, ses voyages répétés en Espagne, en France,
en Angleterre, les sept langues qu'il parlait, sa vie superbe,
ses deux mariages d'amour, lui permirent d'accomplir avec
une générosité sans exemple et une royale abondance.
Quelle vie ! Il fut le seul héros humain, sans doute, à unir
les splendeurs de la vie extérieure aux images splendides
qu'il s'en faisait. La complicité d'une époque dont l'aristo-
cratie recevait, depuis deux cents ans, son éducation artis-
tique et que ses goûts de faste séduisaient, maintint jusqu'à la
fin sa santé morale et son sensualisme dans un équilibre
exceptionnel. Il était comme un roi des Flandres, il les repré-
sentait devant les rois. Ses grands dîners, ses réceptions, sa
fortune, ses châteaux, son luxe, ses ambassades, rien ne put
le diminuer. Jamais même il ne consentit à nous avouer qu'il
souffrit de son second mariage, à cinquante-trois ans, avec
une femme de seize. Il ramassa dans son inquiétude une
force multipliée et répandit sur l'avenir la joie qu'il ne pou-
vait exiger d'elle et qu'il ne pouvait lui donner. Il acheva son
existence triomphale en triomphant de l'angoisse qu'il ne put
manquer d'éprouver.
Si l'on voulait chercher seulement en cet homme excep-
tionnel la plus haute expression de la nature flamande, qu'il
réunit à l'universelle nature, on n'apercevrait qu'un aspect
de son œuvre, le plus accessible à la vérité, mais non le plus
essentiel. Il faudrait s'adresser à Jordaens, qui vint quinze
ans après lui, qui fut comme lui l'élève de Van Noort mais
qui, tout en se tournant à chaque instant vers lui, sut vivre
et agir avec tant de force confiante que, hors de Rubens, il
reste l'interprète le plus robuste du paganisme flamand.
Presque jamais les pieds de Jordaens ne quittèrent le sol
des Flandres. Ses yeux ne percèrent presque jamais l'espace
d'opale d'Anvers. Presque jamais ils ne virent autre chose que
le va-et-vient des navires à travers la brume lumineuse, sur
le fleuve bourbeux et la matière de la mer et des campagnes
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fatalité de son destin que les huit années qu'il passa en Italie
dans l'intimité des réalisations géantes de Tintoret et de
Michel-Ange, ses voyages répétés en Espagne, en France,
en Angleterre, les sept langues qu'il parlait, sa vie superbe,
ses deux mariages d'amour, lui permirent d'accomplir avec
une générosité sans exemple et une royale abondance.
Quelle vie ! Il fut le seul héros humain, sans doute, à unir
les splendeurs de la vie extérieure aux images splendides
qu'il s'en faisait. La complicité d'une époque dont l'aristo-
cratie recevait, depuis deux cents ans, son éducation artis-
tique et que ses goûts de faste séduisaient, maintint jusqu'à la
fin sa santé morale et son sensualisme dans un équilibre
exceptionnel. Il était comme un roi des Flandres, il les repré-
sentait devant les rois. Ses grands dîners, ses réceptions, sa
fortune, ses châteaux, son luxe, ses ambassades, rien ne put
le diminuer. Jamais même il ne consentit à nous avouer qu'il
souffrit de son second mariage, à cinquante-trois ans, avec
une femme de seize. Il ramassa dans son inquiétude une
force multipliée et répandit sur l'avenir la joie qu'il ne pou-
vait exiger d'elle et qu'il ne pouvait lui donner. Il acheva son
existence triomphale en triomphant de l'angoisse qu'il ne put
manquer d'éprouver.
Si l'on voulait chercher seulement en cet homme excep-
tionnel la plus haute expression de la nature flamande, qu'il
réunit à l'universelle nature, on n'apercevrait qu'un aspect
de son œuvre, le plus accessible à la vérité, mais non le plus
essentiel. Il faudrait s'adresser à Jordaens, qui vint quinze
ans après lui, qui fut comme lui l'élève de Van Noort mais
qui, tout en se tournant à chaque instant vers lui, sut vivre
et agir avec tant de force confiante que, hors de Rubens, il
reste l'interprète le plus robuste du paganisme flamand.
Presque jamais les pieds de Jordaens ne quittèrent le sol
des Flandres. Ses yeux ne percèrent presque jamais l'espace
d'opale d'Anvers. Presque jamais ils ne virent autre chose que
le va-et-vient des navires à travers la brume lumineuse, sur
le fleuve bourbeux et la matière de la mer et des campagnes
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