plus se répandre, ici des faces pâles à cheveux blonds, de
longues mains pâles sur des hanches, l'altière résignation
d'avoir à enfermer sa force inemployée et décroissante en de
grands parcs pleins de feuilles brouillées par la vapeur qui
monte des pelouses gorgées d'eau. Partout des hommes
séparés du torrent du siècle, isolés dans leurs plaisirs, isolés
dans leur ennui. Le maître avait traité avec les grands, les
grands traitaient l'élève. Son goût, sa culture facile, son
élégance mousquetaire et son talent de couturier le leur
rendaient indispensable. Il employa la force que lui laissait
sa vie factice d'artiste trop adulé des oisifs et trop aimé des
femmes à devenir le peintre du monde et de la mode, le
premier en date et en valeur. Pour une tête hautaine ou fine
sur un grand ciel vivant, pour une belle main tenant un
mouchoir de batiste, pour un éclair de profondeur qui lui fit
apparaître un jour, dans une figure charmante et niaise, le
symbole incarné des vieilles races dévorées par leur temps
qu'elles croient dominer avant qu'elles aient seulement
essayé de le comprendre, il gâcha sa verve fatiguée à froisser
des pourpoints, à mettre à demi des gants qu'il jetait ensuite
avec négligence, à faire mousser des dentelles, à recouvrir sa
tête folle d'un feutre à plume ondoyante, à écarter les pointes
de ses pieds enfermés dans des bottes molles, à s'appuyer
du poing sur une haute canne en relevant sa moustache.
Il ne comprit peut-être pas que les succès et les plaisirs
suçaient peu à peu son sang pâle, et, s'il souffrit, c'est de
sentir sa déchéance sans en connaître les causes et pouvoir
se reconquérir. Comme tous les êtres sensibles devenus
hommes de plaisir, il est triste. Il y a plus de noirs et de gris
dans une seule de ses toiles que dans toutes celles de Rubens.
Il n'a jamais connu sa joie sensuelle, qu'il a gaspillée çà et
là. Il n'a jamais eu sa large foi païenne, et nulle autre pour
la remplacer. Dans ses tableaux de religion, il accepte tout
à fait, par son sensualisme insinuant et fade, d'être le peintre
des Jésuites que Rubens avait effectivement servis en inon-
dant de Vierges séduisantes les églises, comme ils le lui
demandaient, mais qu'il avait combattus profondément en
38 -
longues mains pâles sur des hanches, l'altière résignation
d'avoir à enfermer sa force inemployée et décroissante en de
grands parcs pleins de feuilles brouillées par la vapeur qui
monte des pelouses gorgées d'eau. Partout des hommes
séparés du torrent du siècle, isolés dans leurs plaisirs, isolés
dans leur ennui. Le maître avait traité avec les grands, les
grands traitaient l'élève. Son goût, sa culture facile, son
élégance mousquetaire et son talent de couturier le leur
rendaient indispensable. Il employa la force que lui laissait
sa vie factice d'artiste trop adulé des oisifs et trop aimé des
femmes à devenir le peintre du monde et de la mode, le
premier en date et en valeur. Pour une tête hautaine ou fine
sur un grand ciel vivant, pour une belle main tenant un
mouchoir de batiste, pour un éclair de profondeur qui lui fit
apparaître un jour, dans une figure charmante et niaise, le
symbole incarné des vieilles races dévorées par leur temps
qu'elles croient dominer avant qu'elles aient seulement
essayé de le comprendre, il gâcha sa verve fatiguée à froisser
des pourpoints, à mettre à demi des gants qu'il jetait ensuite
avec négligence, à faire mousser des dentelles, à recouvrir sa
tête folle d'un feutre à plume ondoyante, à écarter les pointes
de ses pieds enfermés dans des bottes molles, à s'appuyer
du poing sur une haute canne en relevant sa moustache.
Il ne comprit peut-être pas que les succès et les plaisirs
suçaient peu à peu son sang pâle, et, s'il souffrit, c'est de
sentir sa déchéance sans en connaître les causes et pouvoir
se reconquérir. Comme tous les êtres sensibles devenus
hommes de plaisir, il est triste. Il y a plus de noirs et de gris
dans une seule de ses toiles que dans toutes celles de Rubens.
Il n'a jamais connu sa joie sensuelle, qu'il a gaspillée çà et
là. Il n'a jamais eu sa large foi païenne, et nulle autre pour
la remplacer. Dans ses tableaux de religion, il accepte tout
à fait, par son sensualisme insinuant et fade, d'être le peintre
des Jésuites que Rubens avait effectivement servis en inon-
dant de Vierges séduisantes les églises, comme ils le lui
demandaient, mais qu'il avait combattus profondément en
38 -