l'homme et la mer. Ils ont lutté dix siècles pour s'em-
parer de ses boues, bâtir sur elles, relever leurs villes qui
s'effondrent dans les tourbières ou qu'un raz de marée noie
dans la vase et le sable mouvant. La vie leur fut trop dure,
et maintenant elle est trop bonne à vivre pour qu'ils cherchent
hors de ses aspects quotidiens l'éducation intellectuelle
qu'elle peut donner à ceux qui vivent dans la liberté, l'oisi-
veté, les excitations passionnelles des pays méridionaux
et que tourmentent les besoins d'une imagination laissée à
elle-même ou la volonté torturante d'en réprimer les excès.
Dès qu'elle eut saisi la liberté, la Hollande ne sortit donc
plus d'elle-même. Elle ne parut même pas avoir à lutter
pour conserver le droit de dire d'elle ce qu'elle en pensait,
ou plutôt ce qu'elle en voyait. Elle se regarda vivre. Elle
n'aperçut seulement pas la guerre qu'elle était obligée de
soutenir encore avec des voisines plus riches pour qu'on
lui laissât dessécher ses polders et fonder ses comptoirs.
Son héroïsme ne la toucha pas. Elle n'en eut pas conscience.
Elle y vit un moyen de conquérir son droit de vivre comme elle
l'entendait, en commerçante active, en femme d'intérieur
soigneuse et propre, aimant la bonne chère, le confort,
l'amour à domicile, les beaux vêtements et les lingeries
blanches qui témoignaient d'une existence saine et d'une
probité intéressée. S'il y eut jamais un peuple naturelle-
ment sociable, de sentiments peu compliqués, d'un équi-
libre permanent et qui se refit sans efforts, sans secousses,
c'est celui-là. Son plus grand homme, ou plutôt son seul
homme vraiment grand y apparut comme un monstre. Elle
le lui fit bien voir.
La Hollande pratiqua la peinture comme elle s'était
battue, comme elle pratiquait déjà et pratique encore le
négoce. Cette fonction, chez elle, ne correspondait pas
comme ailleurs à une frénésie de conquête qui s'annonce de
loin comme par des frissons de fièvre et laisse après elle la
fatigue, la tristesse, souvent la mort. Elle commença brus-
quement, elle cessa brusquement. C'est comme la joie d'un
jeune animal qui s'ébroue et gambade, et après avoir pris
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parer de ses boues, bâtir sur elles, relever leurs villes qui
s'effondrent dans les tourbières ou qu'un raz de marée noie
dans la vase et le sable mouvant. La vie leur fut trop dure,
et maintenant elle est trop bonne à vivre pour qu'ils cherchent
hors de ses aspects quotidiens l'éducation intellectuelle
qu'elle peut donner à ceux qui vivent dans la liberté, l'oisi-
veté, les excitations passionnelles des pays méridionaux
et que tourmentent les besoins d'une imagination laissée à
elle-même ou la volonté torturante d'en réprimer les excès.
Dès qu'elle eut saisi la liberté, la Hollande ne sortit donc
plus d'elle-même. Elle ne parut même pas avoir à lutter
pour conserver le droit de dire d'elle ce qu'elle en pensait,
ou plutôt ce qu'elle en voyait. Elle se regarda vivre. Elle
n'aperçut seulement pas la guerre qu'elle était obligée de
soutenir encore avec des voisines plus riches pour qu'on
lui laissât dessécher ses polders et fonder ses comptoirs.
Son héroïsme ne la toucha pas. Elle n'en eut pas conscience.
Elle y vit un moyen de conquérir son droit de vivre comme elle
l'entendait, en commerçante active, en femme d'intérieur
soigneuse et propre, aimant la bonne chère, le confort,
l'amour à domicile, les beaux vêtements et les lingeries
blanches qui témoignaient d'une existence saine et d'une
probité intéressée. S'il y eut jamais un peuple naturelle-
ment sociable, de sentiments peu compliqués, d'un équi-
libre permanent et qui se refit sans efforts, sans secousses,
c'est celui-là. Son plus grand homme, ou plutôt son seul
homme vraiment grand y apparut comme un monstre. Elle
le lui fit bien voir.
La Hollande pratiqua la peinture comme elle s'était
battue, comme elle pratiquait déjà et pratique encore le
négoce. Cette fonction, chez elle, ne correspondait pas
comme ailleurs à une frénésie de conquête qui s'annonce de
loin comme par des frissons de fièvre et laisse après elle la
fatigue, la tristesse, souvent la mort. Elle commença brus-
quement, elle cessa brusquement. C'est comme la joie d'un
jeune animal qui s'ébroue et gambade, et après avoir pris
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