structure du monde s'affirmait encore plus grandiose quand
il devinait, dans un galetas obscur, la présence à peine en-
trevue d'un lunetier méditant. Aux commencements roman-
tiques de cette imagination de vertige qui voulait embrasser
tout de l'univers et de la vie pour le transmettre en forçant
ses effets par les contrastes hallucinants de la lumière et des
ténèbres, de l'humanité et de la légende, tout avait son rôle
distinct, ténèbres, lumière, humanité, légende... Il jouait en
magicien de tous ces éléments épars pour étonner autour de
lui et s'éblouir lui-même... A la fin, l'univers et la vie s'étaient
reconstitués dans un ordre logique, les ténèbres et la lumière,
la légende, l'humanité faisaient partie de lui-même, tout
aboutissait à son centre, et, quand il regardait les choses,
il ne faisait plus tomber sur elles ses songes et ses rayons,
c'est d'elles qu'il les arrachait. La vie, d'abord, était un mer-
veilleux tumulte où il s'agissait de faire entrer tout ce qu'on
avait vu, tout ce qu'on avait lu, tout ce qu'on avait entendu,
tout ce qu'on avait deviné... Elle devint une vision rapide
entre deux éternités confuses, quelque chose de fugitif,
d'impossible à jamais saisir, une illusion. Et c'est dans cette
illusion fantômale qu'il soupçonna la vérité. Jeune et riche,
il faisait de lui-même des portraits brillants, où l'aigrette
d'un turban, la plume d'un béret de velours, les gants, les
chaînes d'or, la bouche spirituelle et la moustache frisée
montraient sa satisfaction de lui-même... Il ne sentait alors
que peu de choses et il croyait tout savoir. Vieux et pauvre,
il avait la tête entourée d'un linge, le cou et la main nus, un
habit usé aux épaules, seulement le doute, la douleur, l'effroi
devant le mystère de vivre, la certitude désenchantée de la
vanité de l'action, tout cela flottait au devant des yeux
inquiets, de la bouche triste, du front plissé... Et maintenant
qu'il sentait tout, il croyait ne rien savoir...
Et cependant, de l'insouciance à l'inquiétude, de la pein-
ture amoureuse et truculente des débuts à la forme hésitante,
mais essentielle de la fin, c'est la même force centrale qui
gouverne cet esprit. On la suit par dedans, de forme en forme,
avec l'ombre et le rayon qui rôdent, illuminant ceci, cachant
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il devinait, dans un galetas obscur, la présence à peine en-
trevue d'un lunetier méditant. Aux commencements roman-
tiques de cette imagination de vertige qui voulait embrasser
tout de l'univers et de la vie pour le transmettre en forçant
ses effets par les contrastes hallucinants de la lumière et des
ténèbres, de l'humanité et de la légende, tout avait son rôle
distinct, ténèbres, lumière, humanité, légende... Il jouait en
magicien de tous ces éléments épars pour étonner autour de
lui et s'éblouir lui-même... A la fin, l'univers et la vie s'étaient
reconstitués dans un ordre logique, les ténèbres et la lumière,
la légende, l'humanité faisaient partie de lui-même, tout
aboutissait à son centre, et, quand il regardait les choses,
il ne faisait plus tomber sur elles ses songes et ses rayons,
c'est d'elles qu'il les arrachait. La vie, d'abord, était un mer-
veilleux tumulte où il s'agissait de faire entrer tout ce qu'on
avait vu, tout ce qu'on avait lu, tout ce qu'on avait entendu,
tout ce qu'on avait deviné... Elle devint une vision rapide
entre deux éternités confuses, quelque chose de fugitif,
d'impossible à jamais saisir, une illusion. Et c'est dans cette
illusion fantômale qu'il soupçonna la vérité. Jeune et riche,
il faisait de lui-même des portraits brillants, où l'aigrette
d'un turban, la plume d'un béret de velours, les gants, les
chaînes d'or, la bouche spirituelle et la moustache frisée
montraient sa satisfaction de lui-même... Il ne sentait alors
que peu de choses et il croyait tout savoir. Vieux et pauvre,
il avait la tête entourée d'un linge, le cou et la main nus, un
habit usé aux épaules, seulement le doute, la douleur, l'effroi
devant le mystère de vivre, la certitude désenchantée de la
vanité de l'action, tout cela flottait au devant des yeux
inquiets, de la bouche triste, du front plissé... Et maintenant
qu'il sentait tout, il croyait ne rien savoir...
Et cependant, de l'insouciance à l'inquiétude, de la pein-
ture amoureuse et truculente des débuts à la forme hésitante,
mais essentielle de la fin, c'est la même force centrale qui
gouverne cet esprit. On la suit par dedans, de forme en forme,
avec l'ombre et le rayon qui rôdent, illuminant ceci, cachant
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