boutiques, l'entassement dans son atelier de collections hété-
roclites, tableaux vénitiens, armes, fourrures, bijoux, ani-
maux empaillés, à la contemplation presque jalouse du visage
et du geste humain dans la lumière qu'il composa, pour les
éclairer, avec toutes les harmonies des plus lointains soleils
et des plus poignantes ténèbres. C'est le secret de sa souf-
france. C'est à nous d'accepter et de comprendre en regar-
dant au fond de nous, si nous avons aussi souffert. Nous
savons qu'il fut marié, et heureux de l'être, qu'il aima sa
femme Saskia de tous ses sens, peut-être de tout son cœur,
la couvrit de bijoux, la peignit nue, habillée, coiffée... Nous
savons qu'il fut riche ou du moins vécut comme un riche
avec elle, qu'il fut, quand il devint veuf, poursuivi par des
créanciers, traqué de logis en logis, puis pauvre, abandonné
de ses amis, livré peut-être à la boisson, vivant au jour le
jour avec son fils et une servante maîtresse. Et nous savons
qu'à mesure qu'il s'enfonça plus avant dans la solitude, sa
solitude se peupla. Nous savons que l'expression devint plus
concentrée et plus intense cependant que les harmonies
superficielles, d'abord presque violentes, s'exaspérant avec
la joie de peindre, le rire, l'éclat des joyaux et des vins, se
faisaient peu à peu discrètes pour arriver à fondre à la fin
leurs ruissellements d'étincelles, leurs ors roux, leurs ors
pâles tissus de bleus, leurs ors verts, leurs verts éteints
envahis d'or, dans la même masse sourde et fauve où, ne
possédant plus d'écrins, il avait mêlé la poussière de ses rubis,
de ses topazes, de ses perles, à l'inépuisable trésor du soleil
et de l'ombre qu'il remuait en roi, à pleines mains. Nous
savons que les architectures imaginaires que Lastmann, son
maître débile, essayait déjà de dresser dans de fantastiques
lueurs, s'effaçaient de son rêve en même temps que la réalité
se révélait à son émoi plus surprenante et plus riche. Nous
avons vu disparaître ses mosquées, ses synagogues irréelles
dont quelques piliers immenses, quelques arceaux géants
brodés et dentelés sortaient de l'ombre, grâce au rayon d'en
haut éclairant sur leurs dalles un groupe de rois orientaux,
tandis qu'apparaissait peu à peu la vie prochaine et que la
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roclites, tableaux vénitiens, armes, fourrures, bijoux, ani-
maux empaillés, à la contemplation presque jalouse du visage
et du geste humain dans la lumière qu'il composa, pour les
éclairer, avec toutes les harmonies des plus lointains soleils
et des plus poignantes ténèbres. C'est le secret de sa souf-
france. C'est à nous d'accepter et de comprendre en regar-
dant au fond de nous, si nous avons aussi souffert. Nous
savons qu'il fut marié, et heureux de l'être, qu'il aima sa
femme Saskia de tous ses sens, peut-être de tout son cœur,
la couvrit de bijoux, la peignit nue, habillée, coiffée... Nous
savons qu'il fut riche ou du moins vécut comme un riche
avec elle, qu'il fut, quand il devint veuf, poursuivi par des
créanciers, traqué de logis en logis, puis pauvre, abandonné
de ses amis, livré peut-être à la boisson, vivant au jour le
jour avec son fils et une servante maîtresse. Et nous savons
qu'à mesure qu'il s'enfonça plus avant dans la solitude, sa
solitude se peupla. Nous savons que l'expression devint plus
concentrée et plus intense cependant que les harmonies
superficielles, d'abord presque violentes, s'exaspérant avec
la joie de peindre, le rire, l'éclat des joyaux et des vins, se
faisaient peu à peu discrètes pour arriver à fondre à la fin
leurs ruissellements d'étincelles, leurs ors roux, leurs ors
pâles tissus de bleus, leurs ors verts, leurs verts éteints
envahis d'or, dans la même masse sourde et fauve où, ne
possédant plus d'écrins, il avait mêlé la poussière de ses rubis,
de ses topazes, de ses perles, à l'inépuisable trésor du soleil
et de l'ombre qu'il remuait en roi, à pleines mains. Nous
savons que les architectures imaginaires que Lastmann, son
maître débile, essayait déjà de dresser dans de fantastiques
lueurs, s'effaçaient de son rêve en même temps que la réalité
se révélait à son émoi plus surprenante et plus riche. Nous
avons vu disparaître ses mosquées, ses synagogues irréelles
dont quelques piliers immenses, quelques arceaux géants
brodés et dentelés sortaient de l'ombre, grâce au rayon d'en
haut éclairant sur leurs dalles un groupe de rois orientaux,
tandis qu'apparaissait peu à peu la vie prochaine et que la
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