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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
de choisir de mauvais ouvriers. Mais il semblerail qu'il fût impossible alors d'en trouver
de bons, d'après le récit de ce spadassin hâbleur, qui s'attribue trop volontiers le mé-
rite de tout ce qui s'est fait de bien dans son temps et que, trop volontiers aussi, la foule
a cru sur parole, lui reportant l'invention et l'honneur de toutes les belles pièces d'or-
févrerie anonymes que nous a léguées la Renaissance.
Cependant une pièce de fonte de B. Cellini est parvenue jusqu'à nous; c'est cette
tant longue et tant disgracieuse nymphe de Fontainebleau que possède le musée du
Louvre. D'autres fontes existent aussi, exécutées par quelques-uns de ces ouvriers fran
çais que l'Italien malmène si rudement : ce sont les bronzes du Primatice qui décorent
le jardin des Tuileries. Que l'on compare et que l'on juge, sans se laisser étourdir par
la réputation que B. Cellini s'est faite, et l'on reconnaîtra une grande supériorité dans
les secondes. « Il se rencontra, dit M. H. Barbet de Jouy, pour l'exécution de ces
« bronzes, un ensemble d'opérations et un concours d'artistes habiles qui durent en
« assurer le succès; aussi lut-il incontestable. Si je rappelle l'éloge de Vasari, disant
« qu'ils semblent les antiques mêm,es, c'est qu'il est le plus complet qu'on puisse faire,
o Leur peau fine qu'il signale n'est point une vulgaire beauté : il en est une autre dont
« l'appréciation est devenue notre privilège : c'est celle que le temps a développée, en
« agissant sur un riche alliage; c'est l'éclat de la patine et la coloration due à l'emploi
« du cuivre sans économie. Les tons verts qui éclairent les fontes du Primatice jettent
« comme des lumières sur ces bronzes dont les parties sombres ont la couleur et semblent
« avoir l'homogénéité du basalte; ils en accusent le modelé, plaisent aux yeux, et
<f font échapper ces statues au défaut que souvent on reproche aux figures de bronze,
« la monotonie. » '
Or c'étaient d'obscurs artisans, ceux qui coulèrent ces fontes à cire perdue d'après
les moules en plâtre faits à Rome sur les antiques eux-mêmes, sous la direction du Pri-
matice et de Jacques Barozzi de Vignole; c'étaient aussi des imagiers que les recherches
modernes ont vengés d'un dédaigneux oubli. Les Comptes des Bâtiments royaux donnent
leurs noms, et nous trouvons en tète Pierre Bontemps, le sculpteur de la majeure partie
du tombeau de François I" à Saint-Denis. Il est chargé de réparer les cires exécutées
par Laurent Regnauldin et par Jean Le Roux, dit Picart : Pierre Beauchesne est le maître
fondeur, et c'est un autre fondeur^ Guillaume Durant, ainsi que l'imagier Jean Challuau
qui réparent les bronzes. Tous ces noms sont fort peu italiens, on le voit, et tous ceux
qui admirent le magnifique Laocoon du jardin des Tuileries peuvent en toute confiance
en attribuer l'honneur a des mains françaises et aussi à l'emploi, malheureusement
abandonné aujourd'hui, du procédé de fonte à cire perdue.
N'eût-il que ce résultat, le travail de M. H. Barbet de Jouy serait encore fort méri-
toire, mais il nous apprend aussi quelles furent les fontes que le Primatice fit exécuter
à Fontainebleau pour le roi François Ie' :• « Au temps heureux dont parle Sauvai, qu'il
« dit avoir duré si peu, où l'on a vu nos rois aimer les belles choses. » Il nous trace
l'histoire de leurs vicissitudes, dans un style net et précis, qu'une ingénieuse critique
égayé parfois de ses lueurs, comme, sur les bronzes si parfaits dont il parle, la lumière
aux tons verts se joue en brillants reflets.
Il y a quelque désaccord entre les auteurs qui parlent de ces fontes, mais si l'on
s'en rapporte aux Comptes des Bâtiments royaux, elles doivent être les suivantes :
Le Tibre, le Laocoon, la Cléopatre, l'Apollon, la Vénus, le Commode, deux Satyres,
deux Sphinx, deux longs bas-reliefs. Elles étaient réparties dans les cours et dans les
parterres de Fontainebleau, où l'on retrouve aujourd'hui les vestiges des fontaines que
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de choisir de mauvais ouvriers. Mais il semblerail qu'il fût impossible alors d'en trouver
de bons, d'après le récit de ce spadassin hâbleur, qui s'attribue trop volontiers le mé-
rite de tout ce qui s'est fait de bien dans son temps et que, trop volontiers aussi, la foule
a cru sur parole, lui reportant l'invention et l'honneur de toutes les belles pièces d'or-
févrerie anonymes que nous a léguées la Renaissance.
Cependant une pièce de fonte de B. Cellini est parvenue jusqu'à nous; c'est cette
tant longue et tant disgracieuse nymphe de Fontainebleau que possède le musée du
Louvre. D'autres fontes existent aussi, exécutées par quelques-uns de ces ouvriers fran
çais que l'Italien malmène si rudement : ce sont les bronzes du Primatice qui décorent
le jardin des Tuileries. Que l'on compare et que l'on juge, sans se laisser étourdir par
la réputation que B. Cellini s'est faite, et l'on reconnaîtra une grande supériorité dans
les secondes. « Il se rencontra, dit M. H. Barbet de Jouy, pour l'exécution de ces
« bronzes, un ensemble d'opérations et un concours d'artistes habiles qui durent en
« assurer le succès; aussi lut-il incontestable. Si je rappelle l'éloge de Vasari, disant
« qu'ils semblent les antiques mêm,es, c'est qu'il est le plus complet qu'on puisse faire,
o Leur peau fine qu'il signale n'est point une vulgaire beauté : il en est une autre dont
« l'appréciation est devenue notre privilège : c'est celle que le temps a développée, en
« agissant sur un riche alliage; c'est l'éclat de la patine et la coloration due à l'emploi
« du cuivre sans économie. Les tons verts qui éclairent les fontes du Primatice jettent
« comme des lumières sur ces bronzes dont les parties sombres ont la couleur et semblent
« avoir l'homogénéité du basalte; ils en accusent le modelé, plaisent aux yeux, et
<f font échapper ces statues au défaut que souvent on reproche aux figures de bronze,
« la monotonie. » '
Or c'étaient d'obscurs artisans, ceux qui coulèrent ces fontes à cire perdue d'après
les moules en plâtre faits à Rome sur les antiques eux-mêmes, sous la direction du Pri-
matice et de Jacques Barozzi de Vignole; c'étaient aussi des imagiers que les recherches
modernes ont vengés d'un dédaigneux oubli. Les Comptes des Bâtiments royaux donnent
leurs noms, et nous trouvons en tète Pierre Bontemps, le sculpteur de la majeure partie
du tombeau de François I" à Saint-Denis. Il est chargé de réparer les cires exécutées
par Laurent Regnauldin et par Jean Le Roux, dit Picart : Pierre Beauchesne est le maître
fondeur, et c'est un autre fondeur^ Guillaume Durant, ainsi que l'imagier Jean Challuau
qui réparent les bronzes. Tous ces noms sont fort peu italiens, on le voit, et tous ceux
qui admirent le magnifique Laocoon du jardin des Tuileries peuvent en toute confiance
en attribuer l'honneur a des mains françaises et aussi à l'emploi, malheureusement
abandonné aujourd'hui, du procédé de fonte à cire perdue.
N'eût-il que ce résultat, le travail de M. H. Barbet de Jouy serait encore fort méri-
toire, mais il nous apprend aussi quelles furent les fontes que le Primatice fit exécuter
à Fontainebleau pour le roi François Ie' :• « Au temps heureux dont parle Sauvai, qu'il
« dit avoir duré si peu, où l'on a vu nos rois aimer les belles choses. » Il nous trace
l'histoire de leurs vicissitudes, dans un style net et précis, qu'une ingénieuse critique
égayé parfois de ses lueurs, comme, sur les bronzes si parfaits dont il parle, la lumière
aux tons verts se joue en brillants reflets.
Il y a quelque désaccord entre les auteurs qui parlent de ces fontes, mais si l'on
s'en rapporte aux Comptes des Bâtiments royaux, elles doivent être les suivantes :
Le Tibre, le Laocoon, la Cléopatre, l'Apollon, la Vénus, le Commode, deux Satyres,
deux Sphinx, deux longs bas-reliefs. Elles étaient réparties dans les cours et dans les
parterres de Fontainebleau, où l'on retrouve aujourd'hui les vestiges des fontaines que