EXPOSITION DE TABLEAUX MODERNES
AU PROFIT DE LA CAISSE DE SECOURS
DES ARTISTES PEINTRES, STATUAIRES, ARCHITECTES
— Suite —
Jusqu'ici le moulin à vent semblait la propriété exclusive de M. Hoguet.
A ce meunier de la peinture appartenait le privilège d'orienter au vent
les quatre ailes de toile de la charpente mobile ; il trônait seul sur sa
butte, et les moulins de Montmartre palpitaient d'aise quand il passait près
d'eux. Mais le domaine de l'art est sujet à de fréquentes usurpations, et
nul ne reste longtemps maître sur son terrain, quelque étroite qu'en soit
la limite. Voilà que Troyon, rejetant l'aiguillon de bouvier qui lui servait
d'appui-main, revêt à son tour la casaque enfarinée et se met à moudre le
blé qu'on lui apporte. Il est de bonne heure encore ; le soleil blafard
essaie de se débrouiller à travers les brumes du matin ; mais la brise se
lève ; — le joyeux tic-tac crépite, comme le battement d'un cœur, dans
la boîte de planches vermoulues, et la silhouette du moulin se découpe
en noir sur les pâleurs de l'aube avec les linéaments de ses ailes mem-
braneuses, comme si Troyon n'avait fait autre chose de sa vie.
« On en revient toujours à ses moutons, » dit le proverbe, et de ,
meunier Troyon redevient berger ; seulement pendant qu'il peignait son
moulin, l'artiste a confié son troupeau à son chien fidèle. En l'absence du
maître, l'intelligent animal, assis sur un monticule, regarde défiler le
troupeau et semble en compter les têtes. On dirait un chef grec faisant du
haut d'un tertre un homérique dénombrement d'armée. — Ce tableau
très-remarquable dépasse les proportions ordinaires du. genre. Le chien
et les moutons sont de grandeur naturelle. Certes le talent du peintre ne
perd rien à ce cadre plus vaste; mais nous pensons qu'en de tels sujets,
à moins d'une destination spéciale, il est inutile d'adopter la dimension
AU PROFIT DE LA CAISSE DE SECOURS
DES ARTISTES PEINTRES, STATUAIRES, ARCHITECTES
— Suite —
Jusqu'ici le moulin à vent semblait la propriété exclusive de M. Hoguet.
A ce meunier de la peinture appartenait le privilège d'orienter au vent
les quatre ailes de toile de la charpente mobile ; il trônait seul sur sa
butte, et les moulins de Montmartre palpitaient d'aise quand il passait près
d'eux. Mais le domaine de l'art est sujet à de fréquentes usurpations, et
nul ne reste longtemps maître sur son terrain, quelque étroite qu'en soit
la limite. Voilà que Troyon, rejetant l'aiguillon de bouvier qui lui servait
d'appui-main, revêt à son tour la casaque enfarinée et se met à moudre le
blé qu'on lui apporte. Il est de bonne heure encore ; le soleil blafard
essaie de se débrouiller à travers les brumes du matin ; mais la brise se
lève ; — le joyeux tic-tac crépite, comme le battement d'un cœur, dans
la boîte de planches vermoulues, et la silhouette du moulin se découpe
en noir sur les pâleurs de l'aube avec les linéaments de ses ailes mem-
braneuses, comme si Troyon n'avait fait autre chose de sa vie.
« On en revient toujours à ses moutons, » dit le proverbe, et de ,
meunier Troyon redevient berger ; seulement pendant qu'il peignait son
moulin, l'artiste a confié son troupeau à son chien fidèle. En l'absence du
maître, l'intelligent animal, assis sur un monticule, regarde défiler le
troupeau et semble en compter les têtes. On dirait un chef grec faisant du
haut d'un tertre un homérique dénombrement d'armée. — Ce tableau
très-remarquable dépasse les proportions ordinaires du. genre. Le chien
et les moutons sont de grandeur naturelle. Certes le talent du peintre ne
perd rien à ce cadre plus vaste; mais nous pensons qu'en de tels sujets,
à moins d'une destination spéciale, il est inutile d'adopter la dimension