L'ART AU
THÉÂTRE
L'ORPHÉE DE GLUCK. — MADAME VIA R DOT
Le succès obtenu au Théâtre-Lyrique par la reprise d'Orphée n'est
pas seulement un éclatant triomphe pour la grande artiste qui a mis
toute son âme clans l'interprétation d'un chef-d'œuvre ; c'est aussi un
conseil sévère, un encouragement inattendu donné aux missionnaires,
un peu égarés, de l'art contemporain. Qui l'eût dit? Qui l'eût osé prévoir?
Nous sommes encore accessibles aux idées simples, aux joies sérieuses,
aux pures extases! Un sujet connu jusqu'à la satiété, jusqu'au ridicule, le
désespoir d'Orphée, exposé dans toute sa naïveté ; un seul personnage, un
seul sentiment; point de contrastes, d'antithèses, de débats; l'élégie
(l'une âme qui cherche une âme ; et avec ce drame, qui faisait pitié à
nos dramaturges, avec cette musique sans violence, toute une salle est
charmée, transportée, électrisée! Ce ciel, implacablement fermé aux efforts
bruyants de nos compositeurs, s'entr'ouvre, et la mélodie descend au
milieu des pleurs, des effusions de tout un public qui ne s'attendrit plus
guère et qui ne s'émeut pas facilement.
Il y a là un miracle? Non ; il y a là le retour, ou du moins, la pro-
messe du retour, de l'esprit contemporain au culte des grandes choses, à
l'amour des idées. Je sais bien qu'il n'a pas fallu moins qu'un génie comme
Gluck et une interprète comme madame Yiardot pour déterminer ce réveil ;
mais le succès ainsi obtenu ménage l'amour-propre de notre génération
et lui rend plus facile l'abjuration de ses erreurs.
Madame Viardot était la seule artiste capable de faire comprendre cette
langue sublime dont le secret paraît perdu. Je ne connais personne (et je
n'excepte pas, bien entendu, le sexe présomptueux) qui eût, de nos jours,
chanté, joué, avec une perfection si absolue le rôle d'Orphée. J'ignore
les réflexions que cet événement a fait naître dans l'esprit du directeur
THÉÂTRE
L'ORPHÉE DE GLUCK. — MADAME VIA R DOT
Le succès obtenu au Théâtre-Lyrique par la reprise d'Orphée n'est
pas seulement un éclatant triomphe pour la grande artiste qui a mis
toute son âme clans l'interprétation d'un chef-d'œuvre ; c'est aussi un
conseil sévère, un encouragement inattendu donné aux missionnaires,
un peu égarés, de l'art contemporain. Qui l'eût dit? Qui l'eût osé prévoir?
Nous sommes encore accessibles aux idées simples, aux joies sérieuses,
aux pures extases! Un sujet connu jusqu'à la satiété, jusqu'au ridicule, le
désespoir d'Orphée, exposé dans toute sa naïveté ; un seul personnage, un
seul sentiment; point de contrastes, d'antithèses, de débats; l'élégie
(l'une âme qui cherche une âme ; et avec ce drame, qui faisait pitié à
nos dramaturges, avec cette musique sans violence, toute une salle est
charmée, transportée, électrisée! Ce ciel, implacablement fermé aux efforts
bruyants de nos compositeurs, s'entr'ouvre, et la mélodie descend au
milieu des pleurs, des effusions de tout un public qui ne s'attendrit plus
guère et qui ne s'émeut pas facilement.
Il y a là un miracle? Non ; il y a là le retour, ou du moins, la pro-
messe du retour, de l'esprit contemporain au culte des grandes choses, à
l'amour des idées. Je sais bien qu'il n'a pas fallu moins qu'un génie comme
Gluck et une interprète comme madame Yiardot pour déterminer ce réveil ;
mais le succès ainsi obtenu ménage l'amour-propre de notre génération
et lui rend plus facile l'abjuration de ses erreurs.
Madame Viardot était la seule artiste capable de faire comprendre cette
langue sublime dont le secret paraît perdu. Je ne connais personne (et je
n'excepte pas, bien entendu, le sexe présomptueux) qui eût, de nos jours,
chanté, joué, avec une perfection si absolue le rôle d'Orphée. J'ignore
les réflexions que cet événement a fait naître dans l'esprit du directeur