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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
de l'Opéra ; mais je sais bien ce que pense le public. Il s'est demandé, et
il se demande, à chaque représentation, si l'on n'a pas fait tort aux mani-
festations les plus élevées du génie humain, en laissant si longtemps
l'étranger applaudir une cantatrice, une tragédienne, dont la gloire n'au-
rait jamais dû manquer au rayonnement de Paris.
Nous ne donnerons pas l'analyse de la pièce. D'ailleurs, est-ce une
pièce? N'est-ce pas plutôt une symphonie, dramatisée par quelques mou-
vements ? Nous ne chercherons pas non plus dans les biographies les détails
qui, depuis trois semaines, ont été publiés partout, sur la date de cet
opéra, sur la fameuse querelle des gluckistes et des piccinistes. Nous
avons hâte d'arriver au point de vue spécial de notre examen.
Si jamais la nécessité de la mise en scène, de la correction, de la vérité
des accessoires, avait besoin d'être démontrée, cette reprise d'Orphée,
le secours heureux que la musique a trouvé dans les décors, dans les
costumes, dans tous les détails extérieurs, serait une preuve décisive.
Nous n'avons, sous ce rapport, que des éloges sans restriction à décerner
à l'éminente artiste et que de légères observations à présenter au théâtre.
Madame Viardot, chargée du rôle d'Orphée, s'est appliquée à le com-
prendre, à l'interpréter, jusque dans la moindre attitude. Les grands ta-
lents sont toujours complets. 11 ne suffit pas de chanter, pour être une can-
tatrice; il faut avoir le sentiment de la forme visible ; il faut aider les yeux
à poursuivre le rêve et l'évocation de l'esprit. Un opéra n'est pas un con-
cert ; et cette vérité qui paraît banale est souvent méconnue sur nos plus
grandes scènes lyriques. Madame Viardot,avec un courage, avec une inteb-
ligence hors ligne, s'est étudié à mettre dans le côté plastique de son rôle
autant de vérité qu'elle mettait d'idéal dans l'interprétation de la musique.
Son costume est simple ; la tunique blanche descendant aux genoux, comme
il convient à un artiste ou à un artisan , la chlamyde agrafée de chaque
côté de l'épaule, une couronne de laurier clans les cheveux, les jambes
et les bras nus : voilà clans toute sa simplicité le costume d'Orphée. 11 est
regrettable que, pour autoriser un mouvement scénique du dernier acte,
Orphée soit obligé de porter un glaive. Dans la mise en scène primitive,
il a même un casque. On a bien l'ait de laisser ce casque de côté; mais je
ne sais pas s'il eût été plus choquant de faire trouver par hasard un glaive,
au moment où Orphée en a besoin, que de lui faire porter constamment
cet accessoire qui n'est ni dans la tradition , ni dans le caractère général,
ni dans le cas particulier.
Madame Yiardot, obligée de subir un baudrier, le porte avec aisance,
de même qu'elle porte la lyre, avec des attitudes sculpturales. On ne sait
pas assez combien des beautés de détail, qui semblent faciles à atteindre,
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
de l'Opéra ; mais je sais bien ce que pense le public. Il s'est demandé, et
il se demande, à chaque représentation, si l'on n'a pas fait tort aux mani-
festations les plus élevées du génie humain, en laissant si longtemps
l'étranger applaudir une cantatrice, une tragédienne, dont la gloire n'au-
rait jamais dû manquer au rayonnement de Paris.
Nous ne donnerons pas l'analyse de la pièce. D'ailleurs, est-ce une
pièce? N'est-ce pas plutôt une symphonie, dramatisée par quelques mou-
vements ? Nous ne chercherons pas non plus dans les biographies les détails
qui, depuis trois semaines, ont été publiés partout, sur la date de cet
opéra, sur la fameuse querelle des gluckistes et des piccinistes. Nous
avons hâte d'arriver au point de vue spécial de notre examen.
Si jamais la nécessité de la mise en scène, de la correction, de la vérité
des accessoires, avait besoin d'être démontrée, cette reprise d'Orphée,
le secours heureux que la musique a trouvé dans les décors, dans les
costumes, dans tous les détails extérieurs, serait une preuve décisive.
Nous n'avons, sous ce rapport, que des éloges sans restriction à décerner
à l'éminente artiste et que de légères observations à présenter au théâtre.
Madame Viardot, chargée du rôle d'Orphée, s'est appliquée à le com-
prendre, à l'interpréter, jusque dans la moindre attitude. Les grands ta-
lents sont toujours complets. 11 ne suffit pas de chanter, pour être une can-
tatrice; il faut avoir le sentiment de la forme visible ; il faut aider les yeux
à poursuivre le rêve et l'évocation de l'esprit. Un opéra n'est pas un con-
cert ; et cette vérité qui paraît banale est souvent méconnue sur nos plus
grandes scènes lyriques. Madame Viardot,avec un courage, avec une inteb-
ligence hors ligne, s'est étudié à mettre dans le côté plastique de son rôle
autant de vérité qu'elle mettait d'idéal dans l'interprétation de la musique.
Son costume est simple ; la tunique blanche descendant aux genoux, comme
il convient à un artiste ou à un artisan , la chlamyde agrafée de chaque
côté de l'épaule, une couronne de laurier clans les cheveux, les jambes
et les bras nus : voilà clans toute sa simplicité le costume d'Orphée. 11 est
regrettable que, pour autoriser un mouvement scénique du dernier acte,
Orphée soit obligé de porter un glaive. Dans la mise en scène primitive,
il a même un casque. On a bien l'ait de laisser ce casque de côté; mais je
ne sais pas s'il eût été plus choquant de faire trouver par hasard un glaive,
au moment où Orphée en a besoin, que de lui faire porter constamment
cet accessoire qui n'est ni dans la tradition , ni dans le caractère général,
ni dans le cas particulier.
Madame Yiardot, obligée de subir un baudrier, le porte avec aisance,
de même qu'elle porte la lyre, avec des attitudes sculpturales. On ne sait
pas assez combien des beautés de détail, qui semblent faciles à atteindre,