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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
grand nombre. La plupart de ceux qui ont visité la chapelle dans les pre-
miers jours ont été frappés au contraire du caractère imprévu et mys-
tique de la Résurrection. Le rayonnement tempéré de la figure les a
touchés, et ils n’ont pas exprimé le désir de la voir plus glorieuse, plus
hère, plus triomphante. Un des assistants était un écrivain religieux, qui
a publié sur la magie des livres savants et d’une forme colorée; le soir
même, il écrivit d’abondance à un de ses amis quelques pages qui nous
ont été communiquées, et dont voici un extrait :
« J’ai vu avec émotion la peinture de Gigoux qui représente le mystère
de la résurrection du Sauveur. Ce n’est pas un coup de tonnerre, ce n’est
pas un sépulcre qui éclate au milieu des soldats bouleversés : c’est une
tombe qui s’ouvre d’elle-même; c’est une lumière qui éclôt comme une
Heur matinale, douce encore comme le crépuscule, mais assez puissante
déjà pour éclairer vivement les spectateurs de la scène. Le Christ 11e
s’envole pas, il marche en avant avec la placidité du calme éternel. Son
geste est celui de l’enseignement des choses divines; on croit voir son
auréole s’élargir lentement avec des nuances irisées, et autour de lui
commence à se dérouler un ciel nouveau. Les gardes ne sont ni foudroyés
ni terrifiés ; ils sont saisis et comme paralysés par une stupeur qui n’est
pas sans admiration et peut-être sans une vague espérance.‘Car, n’est-ce
pas pour eux, les pauvres mercenaires du monde romain, que le Rédemp-
teur vient de triompher de la mort? Tout est calme dans ce tableau; et
le peintre est arrivé à l’effet le plus grand par la plus grande simplicité...
C’est aux arts surtout qu’il faut demander les révélations du progrès ou
les progrès de la révélation. Ce que le philosophe ne sait pas dire encore
ou 11’ose pas dire, l’artiste le devine, et il nous fait rêver d’avance ce qu’un
jour nous devons savoir. »
Une dernière observation qui s’applique à l’ensemble des nouvelles
peintures de M. Gigoux, c’est qu’après les avoir finies jusqu’au bout,
après en avoir poursuivi le modelé avec beaucoup de science et de con-
science, il a su les ramener à un grand aspect. Généreusement il a caché
son travail sous les apparences d’une manière large, pleine de dignité et
d’ampleur, qui est, ce nous semble, et sera toujours la plus convenable
pour la peinture monumentale, à moins que, par une exception inimitable
ou très-dangereuse à imiter, un artiste comme Delacroix, dans un accès
de passion fiévreuse, n’y fasse éclater les tragédies de la couleur. Ainsi
réduite à son expresssion la plus calme et la plus simple, la peinture de
de M. Gigoux à Saint-Gervais s’associe parfaitement à l’architecture, en
ce qu’elle ne présente ni des rehauts luisants, ni ces ostentations de la
touche qui seraient ici déplacées et qui d’ailleurs seraient perdues à dis-
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grand nombre. La plupart de ceux qui ont visité la chapelle dans les pre-
miers jours ont été frappés au contraire du caractère imprévu et mys-
tique de la Résurrection. Le rayonnement tempéré de la figure les a
touchés, et ils n’ont pas exprimé le désir de la voir plus glorieuse, plus
hère, plus triomphante. Un des assistants était un écrivain religieux, qui
a publié sur la magie des livres savants et d’une forme colorée; le soir
même, il écrivit d’abondance à un de ses amis quelques pages qui nous
ont été communiquées, et dont voici un extrait :
« J’ai vu avec émotion la peinture de Gigoux qui représente le mystère
de la résurrection du Sauveur. Ce n’est pas un coup de tonnerre, ce n’est
pas un sépulcre qui éclate au milieu des soldats bouleversés : c’est une
tombe qui s’ouvre d’elle-même; c’est une lumière qui éclôt comme une
Heur matinale, douce encore comme le crépuscule, mais assez puissante
déjà pour éclairer vivement les spectateurs de la scène. Le Christ 11e
s’envole pas, il marche en avant avec la placidité du calme éternel. Son
geste est celui de l’enseignement des choses divines; on croit voir son
auréole s’élargir lentement avec des nuances irisées, et autour de lui
commence à se dérouler un ciel nouveau. Les gardes ne sont ni foudroyés
ni terrifiés ; ils sont saisis et comme paralysés par une stupeur qui n’est
pas sans admiration et peut-être sans une vague espérance.‘Car, n’est-ce
pas pour eux, les pauvres mercenaires du monde romain, que le Rédemp-
teur vient de triompher de la mort? Tout est calme dans ce tableau; et
le peintre est arrivé à l’effet le plus grand par la plus grande simplicité...
C’est aux arts surtout qu’il faut demander les révélations du progrès ou
les progrès de la révélation. Ce que le philosophe ne sait pas dire encore
ou 11’ose pas dire, l’artiste le devine, et il nous fait rêver d’avance ce qu’un
jour nous devons savoir. »
Une dernière observation qui s’applique à l’ensemble des nouvelles
peintures de M. Gigoux, c’est qu’après les avoir finies jusqu’au bout,
après en avoir poursuivi le modelé avec beaucoup de science et de con-
science, il a su les ramener à un grand aspect. Généreusement il a caché
son travail sous les apparences d’une manière large, pleine de dignité et
d’ampleur, qui est, ce nous semble, et sera toujours la plus convenable
pour la peinture monumentale, à moins que, par une exception inimitable
ou très-dangereuse à imiter, un artiste comme Delacroix, dans un accès
de passion fiévreuse, n’y fasse éclater les tragédies de la couleur. Ainsi
réduite à son expresssion la plus calme et la plus simple, la peinture de
de M. Gigoux à Saint-Gervais s’associe parfaitement à l’architecture, en
ce qu’elle ne présente ni des rehauts luisants, ni ces ostentations de la
touche qui seraient ici déplacées et qui d’ailleurs seraient perdues à dis-