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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
à la représentation peinte des choses; le sacrifice, qui efface à propos les
détails aveuglants; la vie, qui résulte de l’harmonie. Et si M. Meissonier
me demandait comment ces conditions sont compatibles avec la précision
qu’il recherche, au lieu d’entreprendre une dissertation, je lui montre-
rais le tableau de 1814. Son œuvre répond pour moi et témoigne contre
lui-même. Dans Solferino, M. Meissonier a vaincu la photographie. Dans
y814, il est l’égal des maîtres de la peinture d’histoire.
Les mérites exceptionnels de M. Meissonier ne doivent pas nous em-
pêcher de reconnaître dans d’autres tableaux militaires des qualités d’un
ordre différent. Si le désordre, si la furie individuelle sont le caractère
distinctif des guerres modernes, nul ne l’a mieux saisi que M. de Neu-
ville. Son Episode de la bataille de Magenta donne la chair de poule. 11
y a un feu, un élan, un pêle-mêle terribles. Les hommes se battent corps
à corps. Les couleurs les plus disparates se heurtent, les lignes se croi-
sent et s’entre-choquent. Toutefois, de cette lutte acharnée sort un en-
semble de tons très-satisfaisant, et si l’énergie du dessin est à sa place
quelque part, c’est bien là. Que M. Protais paraît doux à côté ! On croi-
rait voir l’ange de l’armée française. Il veille sur son sommeil, il préside
aux apprêts du camp. Comme jadis Horace Vernet, M. Protais peint les
coulisses de la guerre. La bonne grâce qu’il prête à ses troupiers, la jeu-
nesse dont il les pare, la pointe de sentiment qui relève ses compositions,
lui ont conquis les sympathies du public. La Fin de la halte semble com-
pléter la trilogie commencée au dernier Salon, en l’honneur des chas-
seurs à pied. Le Passage du M incio est tout simplement un camp de
zouaves. Vivent les habiles gens ! Voilà où ils triomphent. Tant de rouges,
de bleus, de blancs semblent un défi à la palette. Un peu de gazon par
ici, un peu de brouillard par là, et tout s’accorde. Plus timide, M. Her-
sent a cru devoir atténuer les tons violents des uniformes et s’en tenir à
une silhouette. Malgré la vulgarité des types, ce groupe de soldats, qui pas-
sent tranquillement fine rivière, au milieu de la brume matinale, sans savoir
si la mort ne les attend pas sur l’autre bord, fait un bon tableau de genre
militaire, supérieur à ce que M. Hersent avait produit jusqu’à ce jour.
M. Eugène Bellangé marche encore plus vite. Chaque Salon le montre
en progrès. Certes il lui reste à apprendre, surtout s’il veut aborder la
grande peinture guerrière. Mais déjà le Soir d’une bataille offre de bonnes
qualités de composition et de dessin. La couleur a besoin d’acquérir plus
de transparence. Quelques études, telles que Y Intérieur d’atelier, lui donne-
ront la vérité qui lui manque. Quant à son père, M. Hippolyte Bellangé, il
continue à nous charmer par cet heureux mélange de l’élément soldatesque
et de l’élément populaire, qui lui a valu de si brillants succès. \I Episode
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à la représentation peinte des choses; le sacrifice, qui efface à propos les
détails aveuglants; la vie, qui résulte de l’harmonie. Et si M. Meissonier
me demandait comment ces conditions sont compatibles avec la précision
qu’il recherche, au lieu d’entreprendre une dissertation, je lui montre-
rais le tableau de 1814. Son œuvre répond pour moi et témoigne contre
lui-même. Dans Solferino, M. Meissonier a vaincu la photographie. Dans
y814, il est l’égal des maîtres de la peinture d’histoire.
Les mérites exceptionnels de M. Meissonier ne doivent pas nous em-
pêcher de reconnaître dans d’autres tableaux militaires des qualités d’un
ordre différent. Si le désordre, si la furie individuelle sont le caractère
distinctif des guerres modernes, nul ne l’a mieux saisi que M. de Neu-
ville. Son Episode de la bataille de Magenta donne la chair de poule. 11
y a un feu, un élan, un pêle-mêle terribles. Les hommes se battent corps
à corps. Les couleurs les plus disparates se heurtent, les lignes se croi-
sent et s’entre-choquent. Toutefois, de cette lutte acharnée sort un en-
semble de tons très-satisfaisant, et si l’énergie du dessin est à sa place
quelque part, c’est bien là. Que M. Protais paraît doux à côté ! On croi-
rait voir l’ange de l’armée française. Il veille sur son sommeil, il préside
aux apprêts du camp. Comme jadis Horace Vernet, M. Protais peint les
coulisses de la guerre. La bonne grâce qu’il prête à ses troupiers, la jeu-
nesse dont il les pare, la pointe de sentiment qui relève ses compositions,
lui ont conquis les sympathies du public. La Fin de la halte semble com-
pléter la trilogie commencée au dernier Salon, en l’honneur des chas-
seurs à pied. Le Passage du M incio est tout simplement un camp de
zouaves. Vivent les habiles gens ! Voilà où ils triomphent. Tant de rouges,
de bleus, de blancs semblent un défi à la palette. Un peu de gazon par
ici, un peu de brouillard par là, et tout s’accorde. Plus timide, M. Her-
sent a cru devoir atténuer les tons violents des uniformes et s’en tenir à
une silhouette. Malgré la vulgarité des types, ce groupe de soldats, qui pas-
sent tranquillement fine rivière, au milieu de la brume matinale, sans savoir
si la mort ne les attend pas sur l’autre bord, fait un bon tableau de genre
militaire, supérieur à ce que M. Hersent avait produit jusqu’à ce jour.
M. Eugène Bellangé marche encore plus vite. Chaque Salon le montre
en progrès. Certes il lui reste à apprendre, surtout s’il veut aborder la
grande peinture guerrière. Mais déjà le Soir d’une bataille offre de bonnes
qualités de composition et de dessin. La couleur a besoin d’acquérir plus
de transparence. Quelques études, telles que Y Intérieur d’atelier, lui donne-
ront la vérité qui lui manque. Quant à son père, M. Hippolyte Bellangé, il
continue à nous charmer par cet heureux mélange de l’élément soldatesque
et de l’élément populaire, qui lui a valu de si brillants succès. \I Episode