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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 1.1869

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Nr. 3
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Michiels, Alfred: Génie de Rubens, [1]
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https://doi.org/10.11588/diglit.21404#0250

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GÉNIE DE RUBENS.

235

Assurément, ce tableau n’aurait pu être composé d’une manière plus
profonde et plus dramatique. Shakspeare lui-même, devenu peintre,
n’eût pas mieux fait. Rubens l’avait sans doute longtemps médité avant
de prendre le pinceau. On connaît sa belle maxime : Diu incubando
noctuque. Son esprit sérieux lui fit toujours dédaigner les livres futiles 4.

Les ressources du langage nous ont permis de décrire et d’expliquer,
jusqu’à un certain point, les combinaisons inventées par Rubens dans le
Massacre des Innocents. Elles ne nous permettent, en aucune façon,
d’exprimer les magnificences de la couleur. Par une opposition frappante
et singulière, l’artiste a prodigué sur ce tableau les enchantements de sa
palette. Jamais on n’a réuni plus d’éclat et de variété à une plus profonde
et plus moelleuse harmonie. L’action est une affreuse image de la
discorde; la facture, un prodige de finesse et de suavité. Le sujet révolte
la conscience, la peinture n’a que des flatteries pour les yeux. Tous les
chefs-d’œuvre connus auraient peine à soutenir la comparaison avec
cette toile resplendissante et veloutée. La figure la plus en vue, la mère
qui implore la vengeance du ciel, ne cause pas moins de surprise que d’ad-
miration. Elle porte une robe amarante, par-dessus laqueMe se drape
une simarre ou pelisse en velours noir, doublée de satin couleur d’or, ou
plutôt couleur de soleil ; au milieu de la première jupe, un flot de sang a
fait une longue traînée cramoisie. Le contraste violent de ces couleurs,
aboutissant à la plus parfaite, à la plus séduisante conciliation, est une
merveille que nul artiste n’a surpassée.

Quoique Pierre-Paul traitât d’habitude les motifs religieux avec une
insouciante liberté, qui le ferait prendre pour un sceptique et même
pour un impie, ce serait lui porter préjudice, le montrer sous un faux
jour, que de le peindre comme hostile par système aux idées pieuses,
aux sentiments dévots. S’il témoignait le plus souvent à l’égard des
données chrétiennes une indifférence et même une irrévérence manifeste,
il avait un esprit trop vaste, une imagination trop souple et trop riche
pour ne pas voir l’autre aspect de la question , pour ne pas comprendre
les ressources, les effets poétiques de l’enthousiasme religieux. Après
avoir trahi la nonchalance d’un incrédule, la tiédeur d’un panthéiste, il
s’emparait tout à coup d’une légende avec la ferveur d’un apôtre. C’est

l'auteur nivernais peut même passer pour le meilleur morceau de critique d’art anté-
rieur à notre siècle; nous le recommandons au lecteur. Voyez le livre intitulé : Recueil
de divers ouvrages sur la peinture et le coloris, par M. de Piles. 1 vol. in-12.

\. « Je vous envoie Scopas Ferrarianas, que je n’ai pas lu. Je ne veux pas bonus
horas lam male collocare que d’aller lire de pareilles sornettes, dont je suis naturel-
lement ennemi. » Lettre de Rubens à Pierre Dupuy, 22 octobre 1626.
 
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