Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art (2.Pér. 1.1869)

CORRESPONDANCE DE LONDRES.

15 mai 1869.

a National Gallery vient de subir de grands changements. Après avoir été
fermée pour s’annexer les anciennes salles affectées à l’Exposition annuelle de
la Royal Academy et y répartir le trop-plein de ses richesses, le samedi 24 avril,
il y a eu ce que nous appelons uneprivate view avant l’ouverture des portes au public.

C’est en 1824 que la National Gallery fut ouverte pour la première fois dans la
maison de M. Angerstein, qui avait légué à la nation trente-quatre tableaux des diverses
écoles; depuis lors, tant par des legs généreux que par de judicieuses acquisitions, le
Louvre de Londres s’est enrichi dans des proportions incroyables; dans toules les
occasions importantes, tant par des crédits ordinaires qu'extraordinaires, le Parlement
a du reste toujours témoigné de sa vive sollicitude pour cet établissement national.
Depuis quelques années le manque d’espace avait fait bénéficier les galeries du South
Kensington Muséum, toujours prêtes à accueillir les trésors d’art, de la plus grande
partie des productions de l’école anglaise. Elles sont revenues dans leur asile naturel,
et parmi les plus intéressantes nous citerons la série du Mariage à la mode d’Hogarth,
les superbes portraits de Gainsborough d’après le docteur Schomburgh; Mme Siddons
la grande actrice, et Orpin, le parisli clerk de Bradford; le Bull célèbre de Ward ; le
Sancho et la Duchesse et la composition si spirituelle de l'Oncle Toby et de la Veuve
Wadman de Leslie. Pour les Turner, il y a eu une judicieuse épuration ; on n’a laissé
du peintre que ce qu’il en fallait pour montrer les grands côtés de l’artiste sans laisser
paraître les défaillances de son génie; conformément à son vœu, le Carthage et le
Sea-Sliore sont restés côte à côte avec deux des plus admirables compositions de
Claude, et franchement elles soutiennent fièrement l’accablant voisinage. Les Screens
ou vantaux, où se trouvaient tant de perles de la vieille école des Flandres et qui
gênaient beaucoup la circulation, ont disparu. Parmi les nouveautés dont nous avons
déjà eu occasion d’entretenir les lecteurs de la Gazette, se trouve la grande composi-
tion de Crivelli, la Mise au tombeau, attribuée à Michel-Ange, et enfin Y Intérieur
hollandais de Pierre de Hooghe, venant de la vente Delessert. Nous ne pouvons que
féliciter MM. Boxall et Wornum de la manière aussi intelligente que rapide dont ils
ont dirigé ce vaste travail. Nous ferons toutefois une réserve; que sont devenues deux
superbes compositions du Guide, et cet admirable Poussin, Phinéè et ses compa-
gnons! Ce dernier a été pendant quelque temps au South Kensington, puis a été
envoyé à Dublin. Mais n’eût-il pas dû des premiers rentrer au bercail dès qu’une place
pouvait lui être donnée, au lieu de rester à la disposition du directeur de Kensington?
Aurions-nous par hasard ici le pendant de vos emprunts du Louvre? Espérons que non.

Le budget de la Galerie nationale pour l’année financière finissant le 31. mars 1870
s’élève à quinze mille neuf cent soixante-dix-huit livres sterling, dont dix mille livres
sont consacrées à l’acquisition de tableaux. Deux mille livres seront consacrées à l’ac-
quisition de l’admirable bibliothèque de livres d’art formée par sir Charles Eastlake,