Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Hinweis: Ihre bisherige Sitzung ist abgelaufen. Sie arbeiten in einer neuen Sitzung weiter.
Metadaten

Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 22.1880

DOI Heft:
Nr. 4
DOI Artikel:
Lemonnier, Camille: Joseph Stevens: les artistes belges
DOI Seite / Zitierlink: 
https://doi.org/10.11588/diglit.22842#0393

DWork-Logo
Überblick
loading ...
Faksimile
0.5
1 cm
facsimile
Vollansicht
OCR-Volltext
JOSEPH STEVENS.

367

levrettes, des carlins n'a que passagèrement sollicité son pinceau. Hé!
n'y a-t-il pas chez les chiens la même hiérarchie qu'il y a parmi les
hommes ? Tout en haut, fleuris, musqués, portant leur toison comme une
gloire, ronflent et digèrent en une quiète indolence que ne troublent
point les mortelles inquiétudes de la vie, les parasites superbes du finan-
cier et des vieilles douairières. Les autres n'entrevoient qu'en rêve les
maternelles sollicitudes qui président à ces belles destinées de quadru-
pèdes heureux et pimpants. C'est, à cette extrémité de l'échelle, un
fourmillement noir de détresses et de résignations plus horribles que la
douleur. De maigres échines ravinées où les gales mettent, sous les
touffes rares du poil, des taches semblables à de la moisissure, des
queues jadis ébouriffées comme des panaches et qui, petit à petit déplu-
mées, finissent par n'être plus que de vagues pinceaux ébarbés, des
charpentes évidées de squelettes disent bien l'effroyable aventure de ces
prédestinés de l'abattoir. Hâves, rabougris, érénés, les yeux emplis de
chassies, les naseaux fendus par le gel, sordides et funèbres, ils vont par
les rues, comme des âmes en peine, éclaboussant, éclaboussés, sous le
piétinement universel. Çà et là ils fouillent les tas, grattent les boues,
disputent au crochet des chiffonniers des os aussi maigres qu'eux; et
ces rebuts sont encore des festins pour leurs ventres aboyant de faim.

Eh bien! c'est à ceux-là qu'est allé le beau peintre; il les a peints
avec leurs pustules et leurs sanies, tels que bien souvent il les vit les
soirs où, pénétré de pitié pour le désastre de leurs existences, il les sui-
vait par les ruelles le long des ruisseaux fangeux, sous les pluies d'hiver
qui font pleurer les gargouilles.

Il savait bien, le judicieux flamand, qu'il trouverait là des sujets de
peinture, autrement dignes de son attention que le spectacle de la bana-
lité bourgeoise qui, chez la gent canine aussi bien que chez les hommes,
est la négation de toute poésie; son sûr instinct l'avertissait de ne
chercher l'originalité que dans cette canaille où la lutte, la misère,
le vice sont plus près de l'état de nature; et cette prédilection a fait
de lui un humoriste sensible, j'allais dire un peintre humanitaire. Et
pourquoi pas? Wiertz, le wallon, n'a pas mis dans la plus grande de ses
apothéoses de l'humanité la centième partie de l'émotion qu'il a fallu à
Joseph Stevens pour inventer le moindre de ses souffre-douleurs. Il n'est
personne qui, arrêté un peu longtemps devant ce chef-d'œuvre, Bruxelles
au mutin1, ne sente jaillir ses larmes et ne se promette d'être secou-
rable envers les chiens malheureux.

\. Musée de Bruxelles.
 
Annotationen