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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Métayer. Il ne faut pas d’ailleurs le regretter plus que de raison, car
le court séjour que Watteau a pu faire dans son atelier ou dans sa
boutique n’a dû exercer aucune influence sur le débrouillement de
son talent.
Gersaint, dont le récit nous inspire une certaine confiance, s’abs-
tient d’ouvrir à Watteau les coulisses de l’Opéra. Après l’inutile ten-
tative faite chez Métayer, où l’ouvrage manque et où doit manquer
le salaire, il l’enrôle chez un barbouilleur du pont Notre-Dame, qui
avait pour industrie de faire faire à des jeunes gens mal payés des
tableaux à la douzaine, copies d'un original sans cesse reproduit,
peintures grossières destinées aux églises de village, pastiches approxi-
matifs dédiés aux amateurs sans défense. C’était là un assez vilain
métier. Il est certain que la production des faux tableaux était alors
très active : les habitués de l’hôtel Drouot en savent quelque chose,
car parmi les copies, plus ou moins trompeuses, qu’on essaie de leur
vendre, beaucoup datent précisément de la vieillesse de Louis XIV. En
rapprochant des souvenirs de Gersaint les détails consignés par
Caylus dans son mémoire académique, on voit que AYatteau, en sa
période de servitude chez le brocanteur du pont Notre-Dame, travail-
lait dans tous les genres. Il a multiplié à de nombreux exemplaires
un certain Saint Nicolas, qu’il avait fini par reproduire sans modèle,
car, ainsi qu’il l’a dit lui-même à son ami Gersaint, il le savait par
coeur ; il a copié aussi un Gérard Dov, une vieille liseuse à lunettes,
dont il serait bien curieux de retrouver un échantillon. Un salaire
misérable — trois livres par semaine et la soupe tous les jours —
récompensait ce travail accablant. Le pauvre AYatteau, maigre et
souffreteux aux approches de la vingtième année, aurait eu besoin
d’une hygiène meilleure, aussi bien pour sa santé que pour son
talent.
Et lorsque, le dimanche, il voulait se refaire l’esprit et le cœur,
quelles ressources avait-il? Il ne pouvait guère voir de la peinture
que dans les églises, car la cohue anonyme des déshérités dont il
faisait partie n’avait point ses entrées à Versailles et ignorait les
tableaux de la collection royale. On ne pénétrait pas aisément au
Luxembourg où Rubens trônait dans sa gloire. Pour les œuvres mo-
dernes, très nombreuses alors, puisqu’on a beaucoup travaillé chez
les Coypel et chez les Boullogne, AYatteau les a vues et on peut dire
qu’il en a souffert. Dans la haute clairvoyance de son instinct en voie
d’éclosion, il ne pouvait que constater les signes d’une décadence tous
les jours plus menaçante. L’exposition de 1704, qu’il aura sans doute
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Métayer. Il ne faut pas d’ailleurs le regretter plus que de raison, car
le court séjour que Watteau a pu faire dans son atelier ou dans sa
boutique n’a dû exercer aucune influence sur le débrouillement de
son talent.
Gersaint, dont le récit nous inspire une certaine confiance, s’abs-
tient d’ouvrir à Watteau les coulisses de l’Opéra. Après l’inutile ten-
tative faite chez Métayer, où l’ouvrage manque et où doit manquer
le salaire, il l’enrôle chez un barbouilleur du pont Notre-Dame, qui
avait pour industrie de faire faire à des jeunes gens mal payés des
tableaux à la douzaine, copies d'un original sans cesse reproduit,
peintures grossières destinées aux églises de village, pastiches approxi-
matifs dédiés aux amateurs sans défense. C’était là un assez vilain
métier. Il est certain que la production des faux tableaux était alors
très active : les habitués de l’hôtel Drouot en savent quelque chose,
car parmi les copies, plus ou moins trompeuses, qu’on essaie de leur
vendre, beaucoup datent précisément de la vieillesse de Louis XIV. En
rapprochant des souvenirs de Gersaint les détails consignés par
Caylus dans son mémoire académique, on voit que AYatteau, en sa
période de servitude chez le brocanteur du pont Notre-Dame, travail-
lait dans tous les genres. Il a multiplié à de nombreux exemplaires
un certain Saint Nicolas, qu’il avait fini par reproduire sans modèle,
car, ainsi qu’il l’a dit lui-même à son ami Gersaint, il le savait par
coeur ; il a copié aussi un Gérard Dov, une vieille liseuse à lunettes,
dont il serait bien curieux de retrouver un échantillon. Un salaire
misérable — trois livres par semaine et la soupe tous les jours —
récompensait ce travail accablant. Le pauvre AYatteau, maigre et
souffreteux aux approches de la vingtième année, aurait eu besoin
d’une hygiène meilleure, aussi bien pour sa santé que pour son
talent.
Et lorsque, le dimanche, il voulait se refaire l’esprit et le cœur,
quelles ressources avait-il? Il ne pouvait guère voir de la peinture
que dans les églises, car la cohue anonyme des déshérités dont il
faisait partie n’avait point ses entrées à Versailles et ignorait les
tableaux de la collection royale. On ne pénétrait pas aisément au
Luxembourg où Rubens trônait dans sa gloire. Pour les œuvres mo-
dernes, très nombreuses alors, puisqu’on a beaucoup travaillé chez
les Coypel et chez les Boullogne, AYatteau les a vues et on peut dire
qu’il en a souffert. Dans la haute clairvoyance de son instinct en voie
d’éclosion, il ne pouvait que constater les signes d’une décadence tous
les jours plus menaçante. L’exposition de 1704, qu’il aura sans doute