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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 1.1889

DOI issue:
Nr. 2
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Chennevières, Henry de: Chardin au Musée du Louvre, 2
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https://doi.org/10.11588/diglit.24445#0144

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

vieilli. Dans ces surfaces neutres, déjà magistrales par elles-mêmes,
Chardin a fait le nécessaire en vue du relief de chaque sujet. Les tables
de pierre où il pose, d’ordinaire, ses fruits, ses accessoires, complètent
d’ailleurs, cette tonalité unie, et font ressortir encore pins le motif
en lui-même. Ce Bocal parait avoir été le morceau d’importance de
l’exposition de Chardin en 1763, à en juger par la prose de Diderot :
« Il y a au Salon plusieurs petits tableaux de Chardin; c’est la nature
même, les objets sont hors de la toile et d’une vérité à tromper les
yeux. Celui qu’on voit en montant l’escalier mérite surtout l’atten-
tion. L’artiste a placé un vase de vieille porcelaine de la Chine, deux
biscuits, un bocal rempli d’olives, une corbeille de fruits, deux verres
à moitié pleins de vin, une bigarade avec un pâté. Si je destinais
mon enfant à la peinture, voilà le tableau que j’achèterais. « Copie-
moi cela, lui dirais-je, copie-moi cela. » Mais peut-être la nature
n’est-elle pas plus difficile à copier. C’est que ce vase de porce-
laine est de la porcelaine; c’est que ces olives sont réellement
séparées de l’œil par l’eau dans laquelle elles nagent; c’est qu’il n’y
a qu’à prendre ces biscuits et les manger, cette bigarade l’ouvrir et
la presser, ce verre de vin et le boire, ces fruits et les peler, ce pâté
et y mettre le couteau. C’est celui-ci qui entend l’harmonie des cou-
leurs et ses reflets. O Chardin! ce n’est pas du blanc, du rouge, du
noir que tu broies sur ta palette : c’est la substance même des choses,
c’est l’air et la lumière que tu prends à la pointe de ton pinceau et
que tu attaches sur la toile. » Les conseillers de Diderot en fait de
critique se montrent toujours entre deux périodes d’échappée litté-
raire, et l’on reconnaît leur influence à tel mot juste sorti bien à
point des improvisations de sa plume. Ici, c’est ce mot de « reflets »
le seul en situation : il est, en effet, l’un des capitaux de la technique
de Chardin. Concurremment à la théorie des rappels, Chardin prati-
quait la théorie des reflets. Sur tout objet peint de telle ou telle cou-
leur, il n’importe, l’artiste mettait toujours un peu du ton ou de la
lumière des objets environnants. Ainsi entendue, sa grande har-
monie des consonnances, loin de se contenter de la fonte ordinaire
des tons, réalisait la fusion ambiante et réflexe des teintes les unes
sur les autres. Aucune couleur ne se présente donc franchement
isolée, car le mirage réel du « magicien » consistait à se soumettre
aux conditions du plein air. Le mot n’existait pas encore, mais la
chose allait déjà de soi, pour Chardin s’entend.

Raisins et grenades sont l’une des toiles les plus attirantes de la
salle. Une cafetière de porcelaine à fleurs groupe autour d’elle des
 
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