CHARLES LE BRUN.
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De qui les surprises, les étonnantes machines qui émerveillèrent si
fort l’auguste assistance? « Sur la fin d’un magnifique souper qui
dura bien avant dans la nuit, on vit paraître tout à coup en l’air la
représentation de la lune qui jetait une lumière si éclatante à mesure
qu’elle s’élevait sur l’horizon, que le roi et toute la cour demeurèrent
longtemps surpris d’un spectacle si nouveau, et chacun en donna des
applaudissements à Le Brun 1 ».
La manufacture de Maincy fut pour Le Brun un succès moins
bruyant, mais plus décisif. Elle révélait des nouveautés auxquelles
l’artiste, sans doute, dut en grande partie son élévation.
Dès ce moment. Le Brun, qui s’était appliqué à l’étude des tentures
anciennes, —il leur fit parfois des emprunts, — avait modifié la fabri-
cation des tapisseries, en vue de diminuer l’intervalle qui séparait cet
art de la peinture proprement dite. Le tapissier traduisait en laine,
or, soie et argent, des compositions qu’on lui livrait seulement
dessinées, légèrement teintées d’aquarelle, ce qui laissait à son
interprétation une latitude non sans danger pour l’auteur du
modèle. Le Brun voulut une imitation servile. Tout en laissant, à
peu près, le tapissier à ses gammes accoutumées et familières, tout
en conservant l’emploi de l'or et de l’argent pour les draperies et les
ornements, il exigea et il obtint du traducteur un dessin plus correct,
un modelé plus soutenu : il avait substitué aux cartons incomplets
utilisés jusqu’alors, des modèles entièrement peints à l’huile par lui,
ou sous sa direction, d’après ses esquisses, par des collaborateurs,
ses élèves.
VHistoire de Méléagre fut tissée d’après ces nouveaux principes; le
roi vit et comprit la différence. Dans son ardeur pour les tentatives
intelligentes, il donna à celle-ci toute son approbation et ses encou-
ragements, il admira une exécution plus parfaite que de coutume,
aussi bien que la composition des sujets et l’arrangement des bor-
dures où se reflétaient une liberté d’allure, une recherche de la
vérité et une fantaisie bien capables, certes, d’enlever son suf-
frage.
Quant à Colbert, qui allait tout diriger en semblant obéir, parta-
geant les sentiments de son maître il prit soin de les affermir. C’est
que son ambition rêvait la suprématie de laFrance en toutes choses :
il pensa que la tapisserie pourrait redevenir ce qu’elle avait été trois
siècles auparavant : un art français, et il se réjouit en son àme
1. Guillet de Saint-Georges. Mémoires inédits sur les artistes français.
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De qui les surprises, les étonnantes machines qui émerveillèrent si
fort l’auguste assistance? « Sur la fin d’un magnifique souper qui
dura bien avant dans la nuit, on vit paraître tout à coup en l’air la
représentation de la lune qui jetait une lumière si éclatante à mesure
qu’elle s’élevait sur l’horizon, que le roi et toute la cour demeurèrent
longtemps surpris d’un spectacle si nouveau, et chacun en donna des
applaudissements à Le Brun 1 ».
La manufacture de Maincy fut pour Le Brun un succès moins
bruyant, mais plus décisif. Elle révélait des nouveautés auxquelles
l’artiste, sans doute, dut en grande partie son élévation.
Dès ce moment. Le Brun, qui s’était appliqué à l’étude des tentures
anciennes, —il leur fit parfois des emprunts, — avait modifié la fabri-
cation des tapisseries, en vue de diminuer l’intervalle qui séparait cet
art de la peinture proprement dite. Le tapissier traduisait en laine,
or, soie et argent, des compositions qu’on lui livrait seulement
dessinées, légèrement teintées d’aquarelle, ce qui laissait à son
interprétation une latitude non sans danger pour l’auteur du
modèle. Le Brun voulut une imitation servile. Tout en laissant, à
peu près, le tapissier à ses gammes accoutumées et familières, tout
en conservant l’emploi de l'or et de l’argent pour les draperies et les
ornements, il exigea et il obtint du traducteur un dessin plus correct,
un modelé plus soutenu : il avait substitué aux cartons incomplets
utilisés jusqu’alors, des modèles entièrement peints à l’huile par lui,
ou sous sa direction, d’après ses esquisses, par des collaborateurs,
ses élèves.
VHistoire de Méléagre fut tissée d’après ces nouveaux principes; le
roi vit et comprit la différence. Dans son ardeur pour les tentatives
intelligentes, il donna à celle-ci toute son approbation et ses encou-
ragements, il admira une exécution plus parfaite que de coutume,
aussi bien que la composition des sujets et l’arrangement des bor-
dures où se reflétaient une liberté d’allure, une recherche de la
vérité et une fantaisie bien capables, certes, d’enlever son suf-
frage.
Quant à Colbert, qui allait tout diriger en semblant obéir, parta-
geant les sentiments de son maître il prit soin de les affermir. C’est
que son ambition rêvait la suprématie de laFrance en toutes choses :
il pensa que la tapisserie pourrait redevenir ce qu’elle avait été trois
siècles auparavant : un art français, et il se réjouit en son àme
1. Guillet de Saint-Georges. Mémoires inédits sur les artistes français.