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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
patriote des progrès réalisés par Le Brun. Il résolut de les faire
prospérer.
Ni pour le roi, du reste, ni pour le ministre, le peintre n’était un
inconnu. Dès son enfance, le roi avait ouï répéter ses louanges et
s’était fait portraire par lui. Parvenu à l’âge où l'on voit, où l’on
décide par soi-même, il s’était à maintes reprises intéressé à ses
ouvrages, dont les mérites plutôt nets qu’élevés, abondants et vigou-
reux plutôt que profonds, étaient de ceux, précisément, qui frappent
surtout les regards.
Et puis, un souvenir récent recommandait l’artiste à sa royale
attention. Un an avant les fêtes de Vaux, presque jour pour jour, le
jeune monarque faisait dans sa bonne ville de Paris une entrée
solennelle, avec l’infante Marie-Thérèse d’Espagne qu’il venait
d’épouser. Il rencontra cinq arcs de triomphe sur son passage,
dressés par les habitants. Le plus beau, sans comparaison, de ces
monuments éphémères, le plus grandiose, le plus ingénieusement
ordonné et orné, qui obtint surtout ses applaudissements et ceux
de son immense cortège, fut l’éditice pompeux élevé sur l’ordre
des échevins, devant la statue de Henri IV, à l’ouverture de la
place Dauphine : Le Brun l’avait composé et fait exécuter, Le Brun,
revenu de Vaux pour la circonstance, en veine d’allégories raffinées,
d’allusions mythologiques. Félibien a laissé de cet arc de triomphe
une description minutieuse et prolixe. Les graveurs Lepautre et
Chauveau nous en ont conservé l’image.
De son côté, au temps où, seulement intendant de Mazarin, il ne
pouvait guère présager ses destinées, Colbert avait fait accueil à
Le Brun présenté au cardinal par le chancelier Séguier. Sans aucun
doute, devant lui, Mazarin, qui l’initiait aux choses de l’art, avait plus
d’une fois vanté l’étonnante fécondité, les ressources multiples de
ce jeune homme brillant d’intelligence et de précoce savoir, et,
depuis, le caractère énergique, entreprenant, fertile en ressources,
l’opiniâtre volonté de l’artiste, comme la dignité de sa vie, n’avaient
certainement point échappé à ce grand esprit, observateur
et pénétrant. A Louis XIV, à Colbert, Le Brun était l’homme qu’il
fallait.
Ici, plaçons un fait qu’on n’a point observé et qui mérite d’être
recueilli; il atteste chez notre artiste une sagacité singulière.
— Votre Majesté m’avait ordonné de m’adresser à M. le Cardinal
pour toutes les affaires ; le voici mort ; à qui Votre Majesté veut-elle
que je m’adresse à l’avenir? dit au roi l’archevêque de Rouen, prési-
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
patriote des progrès réalisés par Le Brun. Il résolut de les faire
prospérer.
Ni pour le roi, du reste, ni pour le ministre, le peintre n’était un
inconnu. Dès son enfance, le roi avait ouï répéter ses louanges et
s’était fait portraire par lui. Parvenu à l’âge où l'on voit, où l’on
décide par soi-même, il s’était à maintes reprises intéressé à ses
ouvrages, dont les mérites plutôt nets qu’élevés, abondants et vigou-
reux plutôt que profonds, étaient de ceux, précisément, qui frappent
surtout les regards.
Et puis, un souvenir récent recommandait l’artiste à sa royale
attention. Un an avant les fêtes de Vaux, presque jour pour jour, le
jeune monarque faisait dans sa bonne ville de Paris une entrée
solennelle, avec l’infante Marie-Thérèse d’Espagne qu’il venait
d’épouser. Il rencontra cinq arcs de triomphe sur son passage,
dressés par les habitants. Le plus beau, sans comparaison, de ces
monuments éphémères, le plus grandiose, le plus ingénieusement
ordonné et orné, qui obtint surtout ses applaudissements et ceux
de son immense cortège, fut l’éditice pompeux élevé sur l’ordre
des échevins, devant la statue de Henri IV, à l’ouverture de la
place Dauphine : Le Brun l’avait composé et fait exécuter, Le Brun,
revenu de Vaux pour la circonstance, en veine d’allégories raffinées,
d’allusions mythologiques. Félibien a laissé de cet arc de triomphe
une description minutieuse et prolixe. Les graveurs Lepautre et
Chauveau nous en ont conservé l’image.
De son côté, au temps où, seulement intendant de Mazarin, il ne
pouvait guère présager ses destinées, Colbert avait fait accueil à
Le Brun présenté au cardinal par le chancelier Séguier. Sans aucun
doute, devant lui, Mazarin, qui l’initiait aux choses de l’art, avait plus
d’une fois vanté l’étonnante fécondité, les ressources multiples de
ce jeune homme brillant d’intelligence et de précoce savoir, et,
depuis, le caractère énergique, entreprenant, fertile en ressources,
l’opiniâtre volonté de l’artiste, comme la dignité de sa vie, n’avaient
certainement point échappé à ce grand esprit, observateur
et pénétrant. A Louis XIV, à Colbert, Le Brun était l’homme qu’il
fallait.
Ici, plaçons un fait qu’on n’a point observé et qui mérite d’être
recueilli; il atteste chez notre artiste une sagacité singulière.
— Votre Majesté m’avait ordonné de m’adresser à M. le Cardinal
pour toutes les affaires ; le voici mort ; à qui Votre Majesté veut-elle
que je m’adresse à l’avenir? dit au roi l’archevêque de Rouen, prési-