PAUL MANTZ.
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On voit quelle capacité de travail était celle de notre collabora-
teur. Il fut toujours fidèle à la Gazette; notre premier volume (1859)
contenait déjà un article de lui (Fra Angelico de Fiesole), et notre
livraison de décembre dernier — trente-sept ans après — donnait
sa dernière étude sur Tocqué. Plus de quatre-vingt-dix articles, dont
certains, nous venons de le dire, ont l’importance d’un volume, ont
paru ici même sous sa signature respectée 1, cependant qu’il remet-
tait au Temps., à cent reprises différentes, sa copie ferme et claire,
son appréciation équitable de l’événement artistique du jour.
En élevant à Boucher et à Watteau des monuments dignes d’eux,
en sortant de l’oubli les maîtres moindres de l’école française,
Paul Mantz fit une œuvre méritoire ; il était temps que l’école
française du xvme siècle prit son rang; mais, pour exalter cette
école, il fallait une philosophie indépendante de l’histoire de l’art et
cette pointe d'atticisme français, cette intelligence libérale que
Mantz hérita de ses ainés, les grands critiques de l’école romantique.
C’est grâce à de tels livres que l’esprit national a été dégagé de la
gangue qui l’alourdissait et a pris son éclat propre, son illumination
véritable. Paul Mantz n’a jamais été mieux inspiré que lorsqu’il eut
une gloire nationale à élucider et de patriotiques revendications à
exercer dans l’histoire de l’art du passé. Pourtant, la grandeur de
ces phénomènes qu’on appelle Rubens, Holbein, le frappa et il a
patiemment cherché la loi génératrice de ces deux génies divers.
Lorsqu’il appliqua ses facultés puissantes d’analyse à l’art
contemporain, — il eut le spectacle de toutes ses transformations, —
Paul Mantz éprouva parfois une certaine gène. Son passage à la direc-
tion des Beaux-Arts semble lui avoir laissé plus de désillusions que
de consolants souvenirs ; il s’y sentit comme paralysé. Puis, la
besogne d’aristarque pesa bientôt à son incorruptible franchise. Je
crois le voir encore, au Salon, promenant son regard surpris et
fatigué sur les cimaises, inquiet des nouveautés, tourmenté du désir
d’être le juste juge entre cent plaideurs qui parlaient à la fois. En
même temps, il sentait bien grandir la désaffection du public pour
une cause trop morcelée: il voyait la curiosité remplacer l’examen,
l’agio préparer des réputations faciles et la critique écrite perdre
1. Signalons notamment les Recherches sur l'histoire de l'orfèvrerie française,
les articles sur Corot, Troyon, Barye, II. Régnault, Carpeaux, Courbet,les études sur
Mantegna, sur Michel-Ange peintre ; l’examen des galeries Pourtalès, La Caze,
Cottier, Suermondt, de la Salle, Stein, etc., les comptes rendusdesexpositions étran-
gères d’Angleterre, de Belgique, etc.
— 3e PÉRIODE.
xm.
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On voit quelle capacité de travail était celle de notre collabora-
teur. Il fut toujours fidèle à la Gazette; notre premier volume (1859)
contenait déjà un article de lui (Fra Angelico de Fiesole), et notre
livraison de décembre dernier — trente-sept ans après — donnait
sa dernière étude sur Tocqué. Plus de quatre-vingt-dix articles, dont
certains, nous venons de le dire, ont l’importance d’un volume, ont
paru ici même sous sa signature respectée 1, cependant qu’il remet-
tait au Temps., à cent reprises différentes, sa copie ferme et claire,
son appréciation équitable de l’événement artistique du jour.
En élevant à Boucher et à Watteau des monuments dignes d’eux,
en sortant de l’oubli les maîtres moindres de l’école française,
Paul Mantz fit une œuvre méritoire ; il était temps que l’école
française du xvme siècle prit son rang; mais, pour exalter cette
école, il fallait une philosophie indépendante de l’histoire de l’art et
cette pointe d'atticisme français, cette intelligence libérale que
Mantz hérita de ses ainés, les grands critiques de l’école romantique.
C’est grâce à de tels livres que l’esprit national a été dégagé de la
gangue qui l’alourdissait et a pris son éclat propre, son illumination
véritable. Paul Mantz n’a jamais été mieux inspiré que lorsqu’il eut
une gloire nationale à élucider et de patriotiques revendications à
exercer dans l’histoire de l’art du passé. Pourtant, la grandeur de
ces phénomènes qu’on appelle Rubens, Holbein, le frappa et il a
patiemment cherché la loi génératrice de ces deux génies divers.
Lorsqu’il appliqua ses facultés puissantes d’analyse à l’art
contemporain, — il eut le spectacle de toutes ses transformations, —
Paul Mantz éprouva parfois une certaine gène. Son passage à la direc-
tion des Beaux-Arts semble lui avoir laissé plus de désillusions que
de consolants souvenirs ; il s’y sentit comme paralysé. Puis, la
besogne d’aristarque pesa bientôt à son incorruptible franchise. Je
crois le voir encore, au Salon, promenant son regard surpris et
fatigué sur les cimaises, inquiet des nouveautés, tourmenté du désir
d’être le juste juge entre cent plaideurs qui parlaient à la fois. En
même temps, il sentait bien grandir la désaffection du public pour
une cause trop morcelée: il voyait la curiosité remplacer l’examen,
l’agio préparer des réputations faciles et la critique écrite perdre
1. Signalons notamment les Recherches sur l'histoire de l'orfèvrerie française,
les articles sur Corot, Troyon, Barye, II. Régnault, Carpeaux, Courbet,les études sur
Mantegna, sur Michel-Ange peintre ; l’examen des galeries Pourtalès, La Caze,
Cottier, Suermondt, de la Salle, Stein, etc., les comptes rendusdesexpositions étran-
gères d’Angleterre, de Belgique, etc.
— 3e PÉRIODE.
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