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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
aux joues rebondies, que l’on voit à droite, coiffée d’un grand bonnet
oriental et qui rappelle MUe Desmares, de la Comédie Française.
Assurément, ce n’est pas la Pèlerine dont Watteau a tracé la frêle
silhouette dans les Figures de Mode; cette figurine est si menue que
l’on a peine à distinguer sa physionomie. Mais le grand portrait de
Lépicié nous donne assez exactement le visage et les formes abon-
dantes do la comédienne pour que notre hypothèse soit autorisée.
Il y a beaucoup de scènes de comédie, mais peu de portraits de
comédiens dans l’œuvre de Watteau ; on en rencontre cependant et,
parmi eux, deux membres de l’illustre famille des Poisson, Paul et
Philippe Poisson. Paul Poisson, fils de Raymond, le créateur de
Crispin,joua les Crispin comme son père. Il était aussi connu pour
sa laideur que pour son talent. Sa figure était de celles qui ne passent
jamais inaperçues. Watteau l’a placé dans les petits Comédiens italiens
en compagnie de Pierrot, Scapin, etc., ce qui prouve une fois de
plus que le maître professait la plus parfaite indifférence pour l’exac-
titude de ses sujets. La présence de Paul Poisson, dans ce tableau,
peut en tout cas servir à déterminer, par à peu près, sa date. Retiré
du théâtre depuis 1711, il était rentré en octobre 1715. Or, la gravure
du tableau par Surugue est datée de 1719. C’est donc entre ces deux
dernières dates qu’il faut placer l’exécution de cette toile. Nous
retrouvons encore Crispin dans L’Amour au Théâtre Français, com-
position décorative où il a sa place au milieu d’une scène de ballet;
mais que dire de son arrivée dans la scène de tragédie que figurent
les Comédiens Français? Au premier plan, devant la rampe, se déroule
une scène douloureuse de jalousie, de repentir ou d’abandon. Une
lettre est tombée à terre, l’héroïne pleure, les confidents sont dans
les larmes, le héros lui-même s’attendrit et voici que, par le fond du
décor, débouche Crispin lui-même, ecce iterum..., avec ses grandes
bottes et son immense rapière ! Nous n’avions pas besoin de ce trait
pour deviner le facétieux et le caustique qu’était Watteau.
Quant à Philippe Poisson, c’était un bel homme, mais un mauvais
comédien. Il avait débuté par le rôle de Sévère, dans Polyeucte, en
1704, puis s’était retiré avec son père, en 1711, pour rentrer en
même temps que lui, en 1715. Watteau le dessina en costume de
paysan dans les Figures de Modes. On pourrait rapprocher cette petite
image du prince tragique des Comédiens français.
Le cas des Comédiens italiens est assez curieux. Ce tableau, si
l’on en croyait le titre que lui a donné M. de .lullicnne et son appa-
rence même, devrait représenter les principaux personnage de la
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
aux joues rebondies, que l’on voit à droite, coiffée d’un grand bonnet
oriental et qui rappelle MUe Desmares, de la Comédie Française.
Assurément, ce n’est pas la Pèlerine dont Watteau a tracé la frêle
silhouette dans les Figures de Mode; cette figurine est si menue que
l’on a peine à distinguer sa physionomie. Mais le grand portrait de
Lépicié nous donne assez exactement le visage et les formes abon-
dantes do la comédienne pour que notre hypothèse soit autorisée.
Il y a beaucoup de scènes de comédie, mais peu de portraits de
comédiens dans l’œuvre de Watteau ; on en rencontre cependant et,
parmi eux, deux membres de l’illustre famille des Poisson, Paul et
Philippe Poisson. Paul Poisson, fils de Raymond, le créateur de
Crispin,joua les Crispin comme son père. Il était aussi connu pour
sa laideur que pour son talent. Sa figure était de celles qui ne passent
jamais inaperçues. Watteau l’a placé dans les petits Comédiens italiens
en compagnie de Pierrot, Scapin, etc., ce qui prouve une fois de
plus que le maître professait la plus parfaite indifférence pour l’exac-
titude de ses sujets. La présence de Paul Poisson, dans ce tableau,
peut en tout cas servir à déterminer, par à peu près, sa date. Retiré
du théâtre depuis 1711, il était rentré en octobre 1715. Or, la gravure
du tableau par Surugue est datée de 1719. C’est donc entre ces deux
dernières dates qu’il faut placer l’exécution de cette toile. Nous
retrouvons encore Crispin dans L’Amour au Théâtre Français, com-
position décorative où il a sa place au milieu d’une scène de ballet;
mais que dire de son arrivée dans la scène de tragédie que figurent
les Comédiens Français? Au premier plan, devant la rampe, se déroule
une scène douloureuse de jalousie, de repentir ou d’abandon. Une
lettre est tombée à terre, l’héroïne pleure, les confidents sont dans
les larmes, le héros lui-même s’attendrit et voici que, par le fond du
décor, débouche Crispin lui-même, ecce iterum..., avec ses grandes
bottes et son immense rapière ! Nous n’avions pas besoin de ce trait
pour deviner le facétieux et le caustique qu’était Watteau.
Quant à Philippe Poisson, c’était un bel homme, mais un mauvais
comédien. Il avait débuté par le rôle de Sévère, dans Polyeucte, en
1704, puis s’était retiré avec son père, en 1711, pour rentrer en
même temps que lui, en 1715. Watteau le dessina en costume de
paysan dans les Figures de Modes. On pourrait rapprocher cette petite
image du prince tragique des Comédiens français.
Le cas des Comédiens italiens est assez curieux. Ce tableau, si
l’on en croyait le titre que lui a donné M. de .lullicnne et son appa-
rence même, devrait représenter les principaux personnage de la