LOUIS COURAJOD
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aussi de volonté, de chaleur d’âme, d’impétuosité à la fois et de
ténacité, il suffirait de feuilleter la collection de la Gazette des
Beaux-Arts, avec celle du Bulletin de la Société des Antiquaires de
France.
Son premier soin fut de soumettre à un examen critique, minu-
tieux et pénétrant, un certain nombre de monuments qui, dans
la confusion des dépôts révolutionnaires ou à la suite de la dispersion
du Musée des Monuments français, avaient reçu des attributions ou
des baptêmes fantaisistes. Il commença, à cet effet, par reconnaître,
si l’on peut dire, la topographie des différents groupes de pièces d’ori-
gine commune, des divers fonds, qui étaient venus se mêler dans
les collections du musée. Il entreprit donc le dépouillement de nos
archives et des papiers révolutionnaires et, comme l’étude directe
des monuments eux-mêmes occupait ses journées, c’est pendant la
nuit qu’il se livrait à ce travail. On dressa un lit dans son cabinet du
Louvre et chaque soir, souvent jusqu’au matin, sa lampe studieuse
veillait sous les combles du vieux palais. Il évoquait les morts, il
leur parlait; il rapprochait des monuments les documents et pour-
suivait, dans une sorte de fièvre divinatrice, ce travail aride de
révision, rempli pour lui d’infinies voluptés. Il y apportait, avec sa
connaissance approfondie des sources, une sensibilité artistique qui,
trop souvent, a manqué à d’illustres archivistes et à d’éminents com-
pilateurs. Pour lui, l’œuvre d’art était une personne vivante; elle
avait reçu en dépôt, au plus intime de sa substance, un peu du génie
d’un temps, d’une race et d’une âme d’artiste; par tous les détails de
la facture, cette âme se manifeste à qui sait comprendre son lan-
gage — et plus que les « documents » qu’il faut toujours connaître,
mais dont il faut pouvoir se passer, c’est elle qui livre aux interroga-
tions passionnées de l’archéologue les confidences les plus révéla-
trices et les plus intimes secrets. Courajod ne reculait pas devant les
« hypothèses raisonnées et hardies ». « C’est, disait-il un jour, comme
un coup de sonde jeté dans l’inconnu » et, plus d’une fois, il eut la joie
de voir la découverte postérieure d’un document d’archive venir
confirmer ce que l’étude du monument lui-même lui avait suggéré.
Faut-il rappeler quelques-unes de ces « enquêtes » que nos
lecteurs connaissent pour les avoir lues ici même et qui ont été
réunies, dans les tomes II et III du Journal de Lenoir?...1 Jusqu’fen
1. Alexandre Lenoir, son journal et le Musée des Monuments français, par Louis
Courajod, 3 vol. in-8°. Paris, 1878-1887.
xvi. — 3' PÉRIODE.
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aussi de volonté, de chaleur d’âme, d’impétuosité à la fois et de
ténacité, il suffirait de feuilleter la collection de la Gazette des
Beaux-Arts, avec celle du Bulletin de la Société des Antiquaires de
France.
Son premier soin fut de soumettre à un examen critique, minu-
tieux et pénétrant, un certain nombre de monuments qui, dans
la confusion des dépôts révolutionnaires ou à la suite de la dispersion
du Musée des Monuments français, avaient reçu des attributions ou
des baptêmes fantaisistes. Il commença, à cet effet, par reconnaître,
si l’on peut dire, la topographie des différents groupes de pièces d’ori-
gine commune, des divers fonds, qui étaient venus se mêler dans
les collections du musée. Il entreprit donc le dépouillement de nos
archives et des papiers révolutionnaires et, comme l’étude directe
des monuments eux-mêmes occupait ses journées, c’est pendant la
nuit qu’il se livrait à ce travail. On dressa un lit dans son cabinet du
Louvre et chaque soir, souvent jusqu’au matin, sa lampe studieuse
veillait sous les combles du vieux palais. Il évoquait les morts, il
leur parlait; il rapprochait des monuments les documents et pour-
suivait, dans une sorte de fièvre divinatrice, ce travail aride de
révision, rempli pour lui d’infinies voluptés. Il y apportait, avec sa
connaissance approfondie des sources, une sensibilité artistique qui,
trop souvent, a manqué à d’illustres archivistes et à d’éminents com-
pilateurs. Pour lui, l’œuvre d’art était une personne vivante; elle
avait reçu en dépôt, au plus intime de sa substance, un peu du génie
d’un temps, d’une race et d’une âme d’artiste; par tous les détails de
la facture, cette âme se manifeste à qui sait comprendre son lan-
gage — et plus que les « documents » qu’il faut toujours connaître,
mais dont il faut pouvoir se passer, c’est elle qui livre aux interroga-
tions passionnées de l’archéologue les confidences les plus révéla-
trices et les plus intimes secrets. Courajod ne reculait pas devant les
« hypothèses raisonnées et hardies ». « C’est, disait-il un jour, comme
un coup de sonde jeté dans l’inconnu » et, plus d’une fois, il eut la joie
de voir la découverte postérieure d’un document d’archive venir
confirmer ce que l’étude du monument lui-même lui avait suggéré.
Faut-il rappeler quelques-unes de ces « enquêtes » que nos
lecteurs connaissent pour les avoir lues ici même et qui ont été
réunies, dans les tomes II et III du Journal de Lenoir?...1 Jusqu’fen
1. Alexandre Lenoir, son journal et le Musée des Monuments français, par Louis
Courajod, 3 vol. in-8°. Paris, 1878-1887.
xvi. — 3' PÉRIODE.
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