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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
témoignages étaient là accumulés. En ouvrant les cartons, l’artiste,
que pourtant je croyais bien connaître, se révélait à moi sous un
aspect nouveau, supérieur à lui-même. Je suis bien certain, en le
disant, de ne pas céder à ma vieille amitié, car les peintres et les
critiques pour lesquels s’est entr ouverte la porte de cet atelier ont
partagé mon sentiment. Ce n’est donc pas de l’auteur de tant d’ou-
vrages réputés qui ont figuré à nos Salons que je parlerai ici. Je
voudrais, en m’attachant uniquement aux études de paysage d’Alfred
de Curzon et en rappelant brièvement les conditions dans lesquelles
il s’est formé, essayer de marquer, à ce point de vue spécial, l’excel-
lence et l’originalité de son talent. Il est de ceux, d’ailleurs, qu’il
est bon d’approcher, car sa vie, tout unie, toute simple qu’elle soit,
peut être proposée comme un exemple de dignité morale et d’aspi-
ration constante vers un idéal de bonté et de beauté qu'il a toujours
eu clairement devant les yeux.
Né le 7 septembre 1820, à Moulinet, près de Poitiers, de Curzon
appartenait à une ancienne famille qui jouissait en Poitou d’une
légitime considération. Dans un journal écrit sous sa dictée et qui,
malheurement, ne dépasse pas les années de sa jeunesse, j’ai pu
noter çà et là quelques traits qui me semblent caractériser sa nature
à la fois tendre et réservée. Dans la vieille maison gothique que ses
parents habitaient à la ville, rue des Flageolles, on voit grandir,
parmi ses frères et ses sœurs, l’enfant que ses camarades, à raison
de sa timidité et de sa retenue, avaient, à son grand déplaisir, sur-
nommé « la petite fille ». Mis à Paris, à l’âge de neuf ans, chez
l’abbé Poiloup, il dut, l’année d’après, au moment de la révolution
de Juillet, quitter brusquement sa pension et regagner sa province,
au milieu d incidents qui restèrent gravés dans sa mémoire. Il
retrouvait sa famille retirée à la campagne, à Ayron, et si les mois
qui suivirent furent à peu près perdus pour le travail, on peut penser
que cette vie calme, mêlée de très près à la nature, ne fut pas sans
influence sur sa vocation. Le jardin d’Ayron était rempli de fleurs
et de fruits et, dans les bois voisins, des rochers formaient une
espèce de grotte dans laquelle s’était installé un pauvre sans asile,
à l’entretien duquel pourvoyait la famille de Curzon. La fenaison et
la moisson étaient des événements dans le cours de cotte paisible
existence ; avec ses frères, Alfred aidait les travailleurs et il aimait
à se rappeler ses baignades près des ruines d’un vieux moulin, ses
promenades sur le cheval du curé et même sur un taureau très doux
qui se laissait monter.
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témoignages étaient là accumulés. En ouvrant les cartons, l’artiste,
que pourtant je croyais bien connaître, se révélait à moi sous un
aspect nouveau, supérieur à lui-même. Je suis bien certain, en le
disant, de ne pas céder à ma vieille amitié, car les peintres et les
critiques pour lesquels s’est entr ouverte la porte de cet atelier ont
partagé mon sentiment. Ce n’est donc pas de l’auteur de tant d’ou-
vrages réputés qui ont figuré à nos Salons que je parlerai ici. Je
voudrais, en m’attachant uniquement aux études de paysage d’Alfred
de Curzon et en rappelant brièvement les conditions dans lesquelles
il s’est formé, essayer de marquer, à ce point de vue spécial, l’excel-
lence et l’originalité de son talent. Il est de ceux, d’ailleurs, qu’il
est bon d’approcher, car sa vie, tout unie, toute simple qu’elle soit,
peut être proposée comme un exemple de dignité morale et d’aspi-
ration constante vers un idéal de bonté et de beauté qu'il a toujours
eu clairement devant les yeux.
Né le 7 septembre 1820, à Moulinet, près de Poitiers, de Curzon
appartenait à une ancienne famille qui jouissait en Poitou d’une
légitime considération. Dans un journal écrit sous sa dictée et qui,
malheurement, ne dépasse pas les années de sa jeunesse, j’ai pu
noter çà et là quelques traits qui me semblent caractériser sa nature
à la fois tendre et réservée. Dans la vieille maison gothique que ses
parents habitaient à la ville, rue des Flageolles, on voit grandir,
parmi ses frères et ses sœurs, l’enfant que ses camarades, à raison
de sa timidité et de sa retenue, avaient, à son grand déplaisir, sur-
nommé « la petite fille ». Mis à Paris, à l’âge de neuf ans, chez
l’abbé Poiloup, il dut, l’année d’après, au moment de la révolution
de Juillet, quitter brusquement sa pension et regagner sa province,
au milieu d incidents qui restèrent gravés dans sa mémoire. Il
retrouvait sa famille retirée à la campagne, à Ayron, et si les mois
qui suivirent furent à peu près perdus pour le travail, on peut penser
que cette vie calme, mêlée de très près à la nature, ne fut pas sans
influence sur sa vocation. Le jardin d’Ayron était rempli de fleurs
et de fruits et, dans les bois voisins, des rochers formaient une
espèce de grotte dans laquelle s’était installé un pauvre sans asile,
à l’entretien duquel pourvoyait la famille de Curzon. La fenaison et
la moisson étaient des événements dans le cours de cotte paisible
existence ; avec ses frères, Alfred aidait les travailleurs et il aimait
à se rappeler ses baignades près des ruines d’un vieux moulin, ses
promenades sur le cheval du curé et même sur un taureau très doux
qui se laissait monter.