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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
BARTHÉLEMY BOUDIN
Parmi les fils de Thomas Boudin, il y en ent un qui exerça,
comme son père, la profession de maître sculpteur; c’est Barthélemy,
son second fils, né en 1610, les registres de la paroisse paternelle en
font foi. On savait, de plus, qu’il demeurait rue Tisseranderie, paroisse
de Saint-Jean-en-Grève, et qu’il eut de sa femme, nommée Claude
Tissier, quatre enfants, baptisés en 1639, 1641, 1642,1647. Nous avons
eu la bonne fortune de mettre la main sur une œuvre signée de lui,
qui avait passé à peu près inaperçue jusqu'ici : c’est le tombeau de
Sully, à Nogent-le-Rotrou1. Alexandre Lenoir avait essayé d’obtenir
qu’il fût transporté au Musée des Monuments français. Mais les résis-
tances de la municipalité firent échouer son projet,et le monument resta
à Nogent, sauvé, mais ignoré. Au moment où sévissait la manie des
portraits historiques, où Louis-Philippe faisait mouler pour Versailles
des statues provinciales de bonnes gens à peu près ignorés de l'his-
toire, on ne s’avisa pas d’aller chercher la statue authentique du
ministre de Henri IV. Il est vrai que l’on en avait tant de fausses et
d’approximatives, exécutées par Mouchy et consorts, que le besoin
ne s’en faisait pas sentir; la valeur d’art importait peu alors, pourvu
que le personnage figurât dans la collection.
Le tombeau, probablement remanié depuis 1642, date de sa
construction, se trouve dans un petit oratoire que la veuve de Sully,
Rachel de Cochcfilet, fit construire dans l’hospice de Nogent-le-Rotrou,
tout contre l’église Notre-Dame, où ne pouvait entrer le corps d’un
protestant. La statue de Sully à genoux, sur un sarcophage moderne,
est placée à côté de la statue de sa femme. Elle porte sur la plinthe la
signature : b. bovdin f. 1642.
La statue de la femme, qui, elle, n’est pas signée, est bien infé-
rieure d’exécution ; elle ne dépasse pas la moyenne ordinaire du
genre, et elle ne serait pas de la même main que nous n’en serions
pas trop étonné. La statue de Sully, en effet, est une œuvre admi-
rable, très souple, très large d’exécution. La tète tournée légèrement
vers la gauche, d’une façon aisée et pleine de naturel, est d’une expres-
sion remarquable pour sa douceur et sa gravité ; les draperies sont
excellentes et donnent, par leur ampleur, sans pose et sans préten-
1. Voir notre étude sur Le tombeau de Sully à Nogent-le-Rotrou (Revue archéo-
logique, mars-avril 1895), et J. Guifïrey, Revue de l’art français ancien et moderne,
octobre-décembre 1895.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
BARTHÉLEMY BOUDIN
Parmi les fils de Thomas Boudin, il y en ent un qui exerça,
comme son père, la profession de maître sculpteur; c’est Barthélemy,
son second fils, né en 1610, les registres de la paroisse paternelle en
font foi. On savait, de plus, qu’il demeurait rue Tisseranderie, paroisse
de Saint-Jean-en-Grève, et qu’il eut de sa femme, nommée Claude
Tissier, quatre enfants, baptisés en 1639, 1641, 1642,1647. Nous avons
eu la bonne fortune de mettre la main sur une œuvre signée de lui,
qui avait passé à peu près inaperçue jusqu'ici : c’est le tombeau de
Sully, à Nogent-le-Rotrou1. Alexandre Lenoir avait essayé d’obtenir
qu’il fût transporté au Musée des Monuments français. Mais les résis-
tances de la municipalité firent échouer son projet,et le monument resta
à Nogent, sauvé, mais ignoré. Au moment où sévissait la manie des
portraits historiques, où Louis-Philippe faisait mouler pour Versailles
des statues provinciales de bonnes gens à peu près ignorés de l'his-
toire, on ne s’avisa pas d’aller chercher la statue authentique du
ministre de Henri IV. Il est vrai que l’on en avait tant de fausses et
d’approximatives, exécutées par Mouchy et consorts, que le besoin
ne s’en faisait pas sentir; la valeur d’art importait peu alors, pourvu
que le personnage figurât dans la collection.
Le tombeau, probablement remanié depuis 1642, date de sa
construction, se trouve dans un petit oratoire que la veuve de Sully,
Rachel de Cochcfilet, fit construire dans l’hospice de Nogent-le-Rotrou,
tout contre l’église Notre-Dame, où ne pouvait entrer le corps d’un
protestant. La statue de Sully à genoux, sur un sarcophage moderne,
est placée à côté de la statue de sa femme. Elle porte sur la plinthe la
signature : b. bovdin f. 1642.
La statue de la femme, qui, elle, n’est pas signée, est bien infé-
rieure d’exécution ; elle ne dépasse pas la moyenne ordinaire du
genre, et elle ne serait pas de la même main que nous n’en serions
pas trop étonné. La statue de Sully, en effet, est une œuvre admi-
rable, très souple, très large d’exécution. La tète tournée légèrement
vers la gauche, d’une façon aisée et pleine de naturel, est d’une expres-
sion remarquable pour sa douceur et sa gravité ; les draperies sont
excellentes et donnent, par leur ampleur, sans pose et sans préten-
1. Voir notre étude sur Le tombeau de Sully à Nogent-le-Rotrou (Revue archéo-
logique, mars-avril 1895), et J. Guifïrey, Revue de l’art français ancien et moderne,
octobre-décembre 1895.