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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
l’air d’un manœuvre exténué par son dur labeur ; c’est un commer-
çant heureux qui goûte, d’un air satisfait, quelques instants de repos.
Je ne parle pas de l’expression agréable de sa physionomie : on sait
que, sur les instances de la ville de Reims, Pigalle a donné ses propres
traits à son Citoyen. — La statue du Citoyen eut le plus grand et le
plus légitime succès ; les rivaux et les détracteurs de Pigalle furent
les premiers à lui témoigner leur admiration. Le roi fut si content de
l’ensemble du monument de Reims, qu’il chargea le Dauphin d’aller
remettre à l’artiste le cordon de l’ordre de Saint-Michel. Quant à la
ville de Reims, elle donna à Pigalle, en outre du prix convenu, une
pension viagère de quatre mille livres.
La maquette du Musée d’Orléans nous montre comment Pigalle,
après avoir conçu d’abord une figure un peu trop réaliste, presque
vulgaire, a su la modifier, la transformer, et en faire une des statues
les plus remarquables que l’art français ait produites dans tout le
cours du xvmc siècle. Rien n’est plus intéressant que de voir le
grand artiste aux prises avec son idée, et corrigeant tous les défauts
de son projet primitif. Nous comprenons maintenant comment Pigalle
travaillait; nous voyons comment, d’une idée première assez mal-
heureuse, est sorti peu à peu, à force de réilexion et de patient labeur,
le chef-d’œuvre de Reims.
M. Eudoxe Marcille avait identifié sans difficulté la maquette
du Citoyen, grâce à la note de Desfriches. Mais quand il lui fallut
décrire la seconde statuette de Pigalle, il se trouva fort embarrassé,
et il se borna à reproduire les indications erronées qu’il trouva dans
le livre de Tarbé.
Il n’était guère difficile, cependant, de démêler la vérité. Le
Philosophe, d’abord, est une maquette, et non une figure quelconque
destinée à « faire pendant » au Citoyen. Il y a dans cette statuette
une intensité de vie extraordinaire; c’est une œuvre toute d’inspira-
tion ; on sent que l’artiste a fixé dans la terre, aussi rapidement que
possible, l’image que son cerveau lui avait suggérée. Ce n’est pas une
figure banale, exécutée sans motif.
Le nom même que cette statuette a toujours porté au Musée
d’Orléans aurait dû attirer l’attention de Tarbé et de M. Eudoxe
Marcille. Ils auraient dû se rappeler que Pigalle avait fait une statue
nue, très célèbre, d’un philosophe également très célèbre. Et ils
auraient dû reconnaître, dans la petite figure du Musée d’Orléans,
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
l’air d’un manœuvre exténué par son dur labeur ; c’est un commer-
çant heureux qui goûte, d’un air satisfait, quelques instants de repos.
Je ne parle pas de l’expression agréable de sa physionomie : on sait
que, sur les instances de la ville de Reims, Pigalle a donné ses propres
traits à son Citoyen. — La statue du Citoyen eut le plus grand et le
plus légitime succès ; les rivaux et les détracteurs de Pigalle furent
les premiers à lui témoigner leur admiration. Le roi fut si content de
l’ensemble du monument de Reims, qu’il chargea le Dauphin d’aller
remettre à l’artiste le cordon de l’ordre de Saint-Michel. Quant à la
ville de Reims, elle donna à Pigalle, en outre du prix convenu, une
pension viagère de quatre mille livres.
La maquette du Musée d’Orléans nous montre comment Pigalle,
après avoir conçu d’abord une figure un peu trop réaliste, presque
vulgaire, a su la modifier, la transformer, et en faire une des statues
les plus remarquables que l’art français ait produites dans tout le
cours du xvmc siècle. Rien n’est plus intéressant que de voir le
grand artiste aux prises avec son idée, et corrigeant tous les défauts
de son projet primitif. Nous comprenons maintenant comment Pigalle
travaillait; nous voyons comment, d’une idée première assez mal-
heureuse, est sorti peu à peu, à force de réilexion et de patient labeur,
le chef-d’œuvre de Reims.
M. Eudoxe Marcille avait identifié sans difficulté la maquette
du Citoyen, grâce à la note de Desfriches. Mais quand il lui fallut
décrire la seconde statuette de Pigalle, il se trouva fort embarrassé,
et il se borna à reproduire les indications erronées qu’il trouva dans
le livre de Tarbé.
Il n’était guère difficile, cependant, de démêler la vérité. Le
Philosophe, d’abord, est une maquette, et non une figure quelconque
destinée à « faire pendant » au Citoyen. Il y a dans cette statuette
une intensité de vie extraordinaire; c’est une œuvre toute d’inspira-
tion ; on sent que l’artiste a fixé dans la terre, aussi rapidement que
possible, l’image que son cerveau lui avait suggérée. Ce n’est pas une
figure banale, exécutée sans motif.
Le nom même que cette statuette a toujours porté au Musée
d’Orléans aurait dû attirer l’attention de Tarbé et de M. Eudoxe
Marcille. Ils auraient dû se rappeler que Pigalle avait fait une statue
nue, très célèbre, d’un philosophe également très célèbre. Et ils
auraient dû reconnaître, dans la petite figure du Musée d’Orléans,