398
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
invoqué le Saint-Esprit, copieusement diné, et parlé à tort et à travers sur
bien des choses, il a été unanimement résolu d’ériger une statue à l’hon-
neur de M. de Voltaire. Cette chambre des pairs de la littérature était com-
posée des membres suivants : je vais les nommer comme le hasard les
avait placés au moment de la fonction la plus importante, c’est-à-dire à
table, attendu que l’inégalité des forces étant compensée par l’égalité des
prétentions, il n’a jamais été question, dans cette chambre, de fixer le rang
ou la prérogative de qui que ce soit. A la dextre de Mme Necker se trouva
placé M. Diderot; ensuite M. Suard, M. le chevalier de Chastellux, M. Grimm,
M. le comte de Schomberg, M. Marmontel, M. d’Alembert, M. Thomas,
M. Necker, M. de Saint-Lambert, M. Saurin, M. l’abbé Raynal, M. Helvétius,
M. Bernard, M. l’abbé Arnaud et M. l’abbé Morellet.
« M. Pigalle, sculpteur du roi et de l’Académie royale de peinture et de
sculpture, ôtait le dix-huitième; mais, appelé simplement pour être témoin
des résolutions de la chambre dont il s’était chargé d’exécuter le projet, il
n’avait point voix délibérative.
«.Après le repas, il fut proposé d’ériger une statue à M. de Voltaire,
et cette résolution passa unanimement à l’affirmative. M. Pigalle, vers
lequel M. l’abbé Raynal avait été député plusieurs jours auparavant pour
le prier de se charger de l’exécution, et qui avait accepté cette proposition
avec la plus grande joie, produisit l’ébauche d’une première pensée,
modelée en terre, qui fut généralement admirée. Le prince de la littérature
y est assis sur une draperie qui lui descend de l’épaule gauche par le dos,
et enveloppe tout son corps par derrière. Il a la tête couronnée de lauriers,
la poitrine, la cuisse, la jambe et le bras droits nus. Il tient de la main
droite, dont le bras est pendant, une plume. Le bras gauche est appuyé sur
la cuisse gauche. Toute la position est de génie. Il y a dans la tête un feu,
un caractère sublime; et si l’artiste réussit à faire passer ce caractère dans
le marbre, cette statue l’immortalisera plus que tous ses précédents
ouvrages.
« . M. Pigalle promit de partir immédiatement après les fêtes du
mariage de M. le Dauphin, pour se rendre à Ferney, afin de faire le portrait
de M. de Voltaire, s’engageant, au surplus, d’achever ce monument dans
l’espace de deux ans 1. »
La maquette du Musée d’Orléans n’est autre que cette « ébauche
d’une première pensée, modelée en terre », dont Grimm vient de
nous entretenir. Il est intéressant pour l’histoire de Pigalle d’avoir
pu identifier cette petite statuette, dont l’intérêt artistique et histo-
rique est indiscutable.
1. Correspondance littéraire de Lrimm, Diderot, Raynal, Meister, etc. (Édition
de M. Tourneux, tome IX. Paris, 1879, in-8°, p. 14-17). M. Tarbé a cité une partie
de cette lettre (op. cit., p. 159), mais sans en indiquer l’auteur.
l
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
invoqué le Saint-Esprit, copieusement diné, et parlé à tort et à travers sur
bien des choses, il a été unanimement résolu d’ériger une statue à l’hon-
neur de M. de Voltaire. Cette chambre des pairs de la littérature était com-
posée des membres suivants : je vais les nommer comme le hasard les
avait placés au moment de la fonction la plus importante, c’est-à-dire à
table, attendu que l’inégalité des forces étant compensée par l’égalité des
prétentions, il n’a jamais été question, dans cette chambre, de fixer le rang
ou la prérogative de qui que ce soit. A la dextre de Mme Necker se trouva
placé M. Diderot; ensuite M. Suard, M. le chevalier de Chastellux, M. Grimm,
M. le comte de Schomberg, M. Marmontel, M. d’Alembert, M. Thomas,
M. Necker, M. de Saint-Lambert, M. Saurin, M. l’abbé Raynal, M. Helvétius,
M. Bernard, M. l’abbé Arnaud et M. l’abbé Morellet.
« M. Pigalle, sculpteur du roi et de l’Académie royale de peinture et de
sculpture, ôtait le dix-huitième; mais, appelé simplement pour être témoin
des résolutions de la chambre dont il s’était chargé d’exécuter le projet, il
n’avait point voix délibérative.
«.Après le repas, il fut proposé d’ériger une statue à M. de Voltaire,
et cette résolution passa unanimement à l’affirmative. M. Pigalle, vers
lequel M. l’abbé Raynal avait été député plusieurs jours auparavant pour
le prier de se charger de l’exécution, et qui avait accepté cette proposition
avec la plus grande joie, produisit l’ébauche d’une première pensée,
modelée en terre, qui fut généralement admirée. Le prince de la littérature
y est assis sur une draperie qui lui descend de l’épaule gauche par le dos,
et enveloppe tout son corps par derrière. Il a la tête couronnée de lauriers,
la poitrine, la cuisse, la jambe et le bras droits nus. Il tient de la main
droite, dont le bras est pendant, une plume. Le bras gauche est appuyé sur
la cuisse gauche. Toute la position est de génie. Il y a dans la tête un feu,
un caractère sublime; et si l’artiste réussit à faire passer ce caractère dans
le marbre, cette statue l’immortalisera plus que tous ses précédents
ouvrages.
« . M. Pigalle promit de partir immédiatement après les fêtes du
mariage de M. le Dauphin, pour se rendre à Ferney, afin de faire le portrait
de M. de Voltaire, s’engageant, au surplus, d’achever ce monument dans
l’espace de deux ans 1. »
La maquette du Musée d’Orléans n’est autre que cette « ébauche
d’une première pensée, modelée en terre », dont Grimm vient de
nous entretenir. Il est intéressant pour l’histoire de Pigalle d’avoir
pu identifier cette petite statuette, dont l’intérêt artistique et histo-
rique est indiscutable.
1. Correspondance littéraire de Lrimm, Diderot, Raynal, Meister, etc. (Édition
de M. Tourneux, tome IX. Paris, 1879, in-8°, p. 14-17). M. Tarbé a cité une partie
de cette lettre (op. cit., p. 159), mais sans en indiquer l’auteur.
l