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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 16.1896

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Nr. 5
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Servières, Georges: L' anneau du Niebelung à Bayreuth en 1896, 1
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https://doi.org/10.11588/diglit.24682#0463

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L’ANNEAU DU NIERELUNG

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totale, s'expliquent aisément, à mon avis, les contradictions qu’on peut relever
entre les diverses parties de la Tétralogie et sur lesquelles s’exterminent les com-
mentateurs, en vue de justifier le poète. Malgré les remaniements auxquels celui-
ci s’est livré pendant vingt-cinq ans, il subsiste dans VAnneau du Nicbelung trace
des fluctuations de sa conception primordiale ; telle, par exemple l’allusion de
Wagner à la puissance de l’Anneau conquis par Siegfried : -- les Niebelungen lui
sont soumis —, qui se réfère à la donnée originaire, non au poème définitif, la
scène des Gibichungen n’ayant pas été modifiée.

D’autres anomalies proviennent de ce que Wagner s’est conformé fidèlement
à la légende eddique en tout ce qui ne contredisait pas formellement sa concep-
tion personnelle, sans s’apercevoir que les altérations qu’il lui avait fait subir
créaient sur d’autres points des disparates sensibles. De là diverses difficultés qui
ont fait se récrier les spectateurs de 1876 sur l’incohérence du poème et que, seule,
une longue et minutieuse étude de l’œuvre, de ses sources et de sa portée phi-
losophique, pouvait résoudre. Elles ne sauraient arrêter aujourd’hui les auditeurs
familiers avec les commentaires de MM. H.-S. Chamberlain, Kufferath, Georges
Noufflard, Alfred Ernst, Edmond Barthélemy, pour ne citer que les auteurs des
meilleurs ouvrages publiés en français. J’y renvoie les lecteurs qu’intéressent ces
questions spéciales.

Pour qui l’a approfondie, la conception poétique et philosophique de Wagner
est absolument grandiose. C’est certainement, avec Parsifal, le sujet le plus
élevé que le maître ait traité et il a pu dire, après avoir achevé son œuvre, dans
un moment d’orgueil, que c’était « le plus grand poème qui eût jamais été fait ».
Toutefois, à la scène, elle présente deux graves défauts. D’abord un trop grand
nombre de retours en arrière, d’explications rétrospectives, relatives à des faits
parfaitement connus de nous, qui allongent démesurément l’action. Le premier
acte de la Gœtterdæmmerung, avec son prologue sans entr’acte, dure une heure
cinquante-sept minutes. Wagner, après avoir développé la scène des Nornes, avoir
ajouté à l’acte le monologue de Hagen et la scène de Waltraute, ne semble pas
s’être douté qu’il en avait doublé la longueur. Une interruption de dix minutes
seulement entre le prologue et la scène chez les Gibichungen reposerait le specta-
teur et lui permettrait d’apprécier les beautés contenues dans le premier acte.
Exécuté d’une seule tenue, cet acte unique paraît interminable et le spectateur
le goûte d’autant moins qu’il reste sur l’impression pénible du rapt de Brunn-
hilde par Siegfried, qui va la livrer à Gunther.

Ici, les commentateurs invoqueront toutes les raisons imaginables, le symbo-
lisme échoue à excuser l’odieuse et brutale action de Siegfried et, qui pis est, le
rapt paraît inexpliqué. Que Siegfried, ayant bu le philtre versé par Gutrune, ait
oublié le passé, qu’il ne se souvienne plus que Brunnhilde est sa femme, son
bien, sa chose, sa conquête, celle que, le matin même, dans une scène délicieuse,
il assurait de son éternelle tendresse, passe encore ! Mais que Brunnhilde, qui
sans compassion pour la détresse divine, vient de renvoyer Waltraute, la messa-
gère de Wotan, en refusant de rendre aux Filles du Rhin l’Anneau « en qui brille
pour elle l’amour de Siegfried », que Brunnhilde ne reconnaisse pas Siegfried
sous l’armure de Gunther et cède si facilement à l’inconnu, voilà ce qui, mal-
gré les motifs allégués par Wagner pour justifier sa faiblesse, est inadmissible
au point de vue humain, celui qui touche avant tout un public de théâtre ! —
 
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