Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 27.1902

DOI Heft:
Nr. 2
DOI Artikel:
Dukas, Paul: Chronique musicale
DOI Seite / Zitierlink: 
https://doi.org/10.11588/diglit.24809#0179

DWork-Logo
Überblick
loading ...
Faksimile
0.5
1 cm
facsimile
Vollansicht
OCR-Volltext
162

GAZETTE DES BEAUX-ARTS

épisodes variés qui parsèment Siegfried, — à les admirer en eux-mêmes comme
autant de conceptions poétiques distinctes. Tout n’est-il pas fait pour les amener
à adopter cette manière de comprendre Y Anneau du Nibelung, comme bonne et
définitive? Et d’abord, le mode de représentation dont nous parlons, auquel la
plupart des théâtres d’Europe se sont arrêtés. Chaque partie de l’œuvre jouée à
part, plus ou moins bien, par des chanteurs parfois, eux-mêmes, incomplètement
au fait de ce qu’ils exécutent; de nombreuses coupures pratiquées dans la musi-
que, précisément aux endroits où s’exprime le drame essentiel, — comme, par
exemple, au second acte de la Valkyrie— c’en est plus qu’il ne faut pour rompre
l’unité du poème, pour en réduire à néant le sens réel et supérieur. Si, comme
nous venons de le voir, il est déjà difficile de ramener le plan particulier des
trois drames à leur plan général, alors qu’on apporte à leur représentation une
attention dûment préparée, combien sera plus laborieux et vain l’effort accompli
par le public ordinaire pour rattacher des œuvres isolées et tronquées à une
suite raisonnable ! C’est ainsi que tout VAnneau du Nibelung — ou, du moins, et
tour à tour, la Valkyrie, Siegfried et le Crépuscule des Dieux, si on nous le joue
avant l’Or du Rhin, — sera classé, d’ici peu, dans la catégorie des ouvrages lyriques
auxquels il ne faut pas chercher davantage de sens qu’au Freischütz ou à la
Flûte enchantée !

Le fait est assurément à regretter, mais c’est un fait incontestable. Pour
nous en tenir à Siegfried, puisque c’est de Siegfried qu'il s’agit, cherchons ce que
cet ouvrage peut bien signifier pour l’auditeur qui n’a vu antérieurement repré-
senter à l’Opéra que la Valkyrie, dans laquelle de telles suppressions ont été
faites, que toutes les allusions à ce qui concerne l’Or du Rhin ont disparu. Déjà,
dans la première journée de Y Anneau de Nibelung, en raison des coupures, il
n’avait été possible à ce spectateur de bonne foi de rien retenir de l’action que
l’aventure tragique de Siegmund et Sieglinde et le châtiment de Brünnhilde. La
relation qui unit Wotan aux tristes amants, le revirement qui s’accomplit en lui
après l’intercession de Fricka en faveur de Hunding, lui demeurent assez obscurs.
Toute la scène dans laquelle Wotan se confie à Brünnhilde en lui faisant l’aveu
de son impuissance à se racheter seul de la malédition qui pèse sur lui, aveu par
lequel sa résolution d’abandonner Siegmund, simple instrument de sa volonté,
peut seule prendre un sens intelligible, toute cette scène est aux trois quarts
supprimée. Elle est longue assurément, peu abondante en richesses musicales et
paraît, lorsqu’elle est médiocrement jouée, fort monotone. Mais pour la compré-
hension des personnages de Wotan et de Brünnhilde elle est d’une importance
capitale, et c’est, peut-on dire, par cette scène seule que s’explique toute la
Tétralogie. En la supprimant ou en la tronquant pour épargner aux spectateurs
un ennui possible, on les condamne à une ignorance certaine et irrémédiable de
la nature véritable du sujet traité par Wagner.

Quel est, en effet, le sujet véritable de Siegfried ? C’est la réalisation du
souhait exprimé par Wotan à Brünnhilde au second acte de la Valkyrie de ren-
contrer enfin le libre héros qui, agissant contre lui, agirait pour lui et recon-
querrait l’anneau d’or maudit. Ce que Wotan croyait devoir se faire par Sieg-
mund, dont il dirige la main vers l’épée qu'il enfonce lui-même au cœur du
frêne de la maison de Hunding, c’est Siegfried qui l’accomplit en la pleine spon-
tanéité de son jeune héroïsme. On comprend par là que l’épisode de la fonte de
 
Annotationen