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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
faisaient supérieurement le portrait, et rien que le portrait; quand
ils avaient à placer plusieurs personnages, ils les groupaient d'une
manière froide et monotone. Les sculpteurs bourguignons excel-
laient au contraire dans la composition de scènes dramatiques et
variées. Qu'on prenne les morceaux les plus caractéristiques de la
sculpture bourguignonne au moyen âge, le Jugement dernier d’Autun,
la Cène de Dijon, les tableaux de l'apostolat de Saint-Thomas à
l’église de Semur, partout cette vérité se montre.
En Flandre, il n’y a rien qui, par la grandeur de la conception
et l’ampleur du développement, rappelle ce
spectacle inoubliable des « plorans et portans
deuil » qui circulent autour des gisants, les
accompagnent dans l’autre monde, absor-
bent plus que les statues principales l’atten-
tion du spectateur. Et, en effet, telle est la
différence profonde qui sépare l’art funéraire
de la Bourgogne de celui des Flandres : les
auteurs des tombeaux flamands se préoc-
cupent avant tout du portrait du défunt,
ceux des tombeaux bourguignons s'inquiè-
tent davantage de la construction du sarco-
phage; ici, c’est l’accessoire qui intéresse,
et là c’est le principal.
III
Cette remarque s’applique tout à fait à
une œuvre dont le style franchement bour-
guignon ne saurait être contesté : le tombeau de Philippe Pot.
La construction de la Chartreuse n’avait pas fait disparaître
Cîteaux comme lieu de sépulture. Si les princes de la maison ducale
cessèrent de s’y faire ensevelir, plusieurs particuliers y élurent leur
demeure dernière. Un certain Guillaume de Bessey fut conduit à
l'abbaye pour y être inhumé après des obsèques solennelles ; les
archives départementales de la Côte-d’Or mentionnent des nobles,
des bourgeois, un jurisconsulte, d'autres encore qui suivirent cet
exemple. Philippe Pot les imita. Son monument appartient à la
collection des tombeaux du monastère ; il est même le seul débris
de cet incomparable musée qui ait survécu. Moreau de Mautour,
qui le vit à son ancienne place, le décrit ainsi : « Dans la chapelle
UN ASPERGEANT
(Tombeaux des ducs de Bourgogne,
Musée de Dijon.)
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
faisaient supérieurement le portrait, et rien que le portrait; quand
ils avaient à placer plusieurs personnages, ils les groupaient d'une
manière froide et monotone. Les sculpteurs bourguignons excel-
laient au contraire dans la composition de scènes dramatiques et
variées. Qu'on prenne les morceaux les plus caractéristiques de la
sculpture bourguignonne au moyen âge, le Jugement dernier d’Autun,
la Cène de Dijon, les tableaux de l'apostolat de Saint-Thomas à
l’église de Semur, partout cette vérité se montre.
En Flandre, il n’y a rien qui, par la grandeur de la conception
et l’ampleur du développement, rappelle ce
spectacle inoubliable des « plorans et portans
deuil » qui circulent autour des gisants, les
accompagnent dans l’autre monde, absor-
bent plus que les statues principales l’atten-
tion du spectateur. Et, en effet, telle est la
différence profonde qui sépare l’art funéraire
de la Bourgogne de celui des Flandres : les
auteurs des tombeaux flamands se préoc-
cupent avant tout du portrait du défunt,
ceux des tombeaux bourguignons s'inquiè-
tent davantage de la construction du sarco-
phage; ici, c’est l’accessoire qui intéresse,
et là c’est le principal.
III
Cette remarque s’applique tout à fait à
une œuvre dont le style franchement bour-
guignon ne saurait être contesté : le tombeau de Philippe Pot.
La construction de la Chartreuse n’avait pas fait disparaître
Cîteaux comme lieu de sépulture. Si les princes de la maison ducale
cessèrent de s’y faire ensevelir, plusieurs particuliers y élurent leur
demeure dernière. Un certain Guillaume de Bessey fut conduit à
l'abbaye pour y être inhumé après des obsèques solennelles ; les
archives départementales de la Côte-d’Or mentionnent des nobles,
des bourgeois, un jurisconsulte, d'autres encore qui suivirent cet
exemple. Philippe Pot les imita. Son monument appartient à la
collection des tombeaux du monastère ; il est même le seul débris
de cet incomparable musée qui ait survécu. Moreau de Mautour,
qui le vit à son ancienne place, le décrit ainsi : « Dans la chapelle
UN ASPERGEANT
(Tombeaux des ducs de Bourgogne,
Musée de Dijon.)