IIENRY MONNIER ET .JOSEPH PRUDHOMME
495
« Messieurs, dit gravement Monnier-Prudhomme en levant son
« verre, à la Garde nationale de Cambrai ! »
Aimant, comme dit Champfleury, « à monter et remonter l’hor-
loge de la niaiserie bourgeoise », Monnier se cacha plus d’une fois
sous le masque de Prudhomme et put, sans éveiller la méfiance,
provoquer ainsi les confidences de ses victimes, et s’en délecter, La
substitution avait encore
l’avantage de répandre, en
dehors du livre et de la
scène, la réputation du
héros bouffon. Quand ils
furent connusde tout Paris,
Prudhomme et son impré-
sario entreprirent un tour
de France. La province !
pouvait-il être un milieu
plus à souhait pour des
farces qui menaçaient
peut-être de s’user à Pa-
ris ? A peine arrivé dans
une sous-préfecture, Mon-
nier déposait chez les no-
tables de l’endroit la carte
de Joseph Prudhomme,
dessinaitson véritable por-
trait pour la feuille locale,
et laissait sa signature,
accompagnée de quelque
mémorable pensée, sur
les tables des cafés. On
retrouvait au théâtre celui
dont on avait observé curieusement les allées et venues à travers
les petites rues silencieuses envahies par l’herbe ; on s’étonnait;
les esprits lents et sans perspicacité étaient déroutés; Monnier se
réjouissait.
Prudhomme fut la plus longue mystification de ce maître mysti-
ficateur. Mais, à la longue, on prend toujours, observe Sainte-Beuve,
la ride de son sourire, et Monnier finit par se jouer lui-même. On
détourne les enfants de contrefaire les boiteux ou les bossus en leur
faisant craindre de rester infirmes, Monnier pouvait redouter une
JOSEPH PRUDHOMME
AQUARELLE PAR HENRY MONNIER (1867)
(Collection de M. Gustave Calien.)
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« Messieurs, dit gravement Monnier-Prudhomme en levant son
« verre, à la Garde nationale de Cambrai ! »
Aimant, comme dit Champfleury, « à monter et remonter l’hor-
loge de la niaiserie bourgeoise », Monnier se cacha plus d’une fois
sous le masque de Prudhomme et put, sans éveiller la méfiance,
provoquer ainsi les confidences de ses victimes, et s’en délecter, La
substitution avait encore
l’avantage de répandre, en
dehors du livre et de la
scène, la réputation du
héros bouffon. Quand ils
furent connusde tout Paris,
Prudhomme et son impré-
sario entreprirent un tour
de France. La province !
pouvait-il être un milieu
plus à souhait pour des
farces qui menaçaient
peut-être de s’user à Pa-
ris ? A peine arrivé dans
une sous-préfecture, Mon-
nier déposait chez les no-
tables de l’endroit la carte
de Joseph Prudhomme,
dessinaitson véritable por-
trait pour la feuille locale,
et laissait sa signature,
accompagnée de quelque
mémorable pensée, sur
les tables des cafés. On
retrouvait au théâtre celui
dont on avait observé curieusement les allées et venues à travers
les petites rues silencieuses envahies par l’herbe ; on s’étonnait;
les esprits lents et sans perspicacité étaient déroutés; Monnier se
réjouissait.
Prudhomme fut la plus longue mystification de ce maître mysti-
ficateur. Mais, à la longue, on prend toujours, observe Sainte-Beuve,
la ride de son sourire, et Monnier finit par se jouer lui-même. On
détourne les enfants de contrefaire les boiteux ou les bossus en leur
faisant craindre de rester infirmes, Monnier pouvait redouter une
JOSEPH PRUDHOMME
AQUARELLE PAR HENRY MONNIER (1867)
(Collection de M. Gustave Calien.)