LES SALONS DE 1902
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très claire dans son érotisme paisible, et le haut-relief de M. Ver-
mare, qui ne manque pas d’allure, avec son Rhône emporté et sau-
vage, le long duquel la Saône se laisse paresseusement flotter.
M. Puech a ciselé dans les marbres les plus précieux une
Pensée d'un sentiment un peu mièvre, mais d’une grâce alanguie et
rêveuse, qui pose à nouveau le problème de la polychromie des
statues. L’artiste l’a résolu, comme les anciens Grecs, par une
combinaison tout arbitraire de tons, ne visant qu’à faire vibrer une
belle tache dans l’atmosphère, sans nul souci de reproduire littéra-
lement la nature. Au même moment, M. Gérôme, appliquant dans
sa Joueuse de boules le système inverse, imitait jusqu’au trompe-
l’œil les nuances de la peau, des yeux, des cheveux, dans l’espoir
de donner l'impression d'une femme de chair subitement transmuée
en marbre. Grêlait oublier que, plus la copie de la vie devient servile,
plus elle fait inévitablement penser à ce qui lui manque pour la
réaliser : le mouvement, la chaleur, le souffle. Aussi la comparaison
n'a-t-elle pas tourné à l'avantage du vieux maître. La marqueterie
de M. Puech, dans son parti pris très franc de transposition, réalise
un effet joliment décoratif, par l’éclat des matières et la richesse des
colorations. La dame callipyge de M. Gérôme, avec ses fossettes, ses
plis de reins, la tonalité grasse et fade de l’épiderme, donnerait, tout
au plus, l’illusoire prurit d’une exhibition libertine. La sensualité
dont cette figure regorge ne choque pourtant point dans le groupe
de M. Lambeaux, La Folle Chanson, malgré sa fougue charnelle.
C’est que, par l’agrandissement des formes et l'emploi d’éléments
mythiques, le drame amoureux qu’il exprime prend un caractère
d’universalité et se transforme en symbole des forces naturelles en
action. Dans un esprit de généralisation identique, M. de Saint-
Marceaux personnifie Les Saisons par quatre nus de femmes en très
faible relief méplat, dont les fines indications de modelé font de
charmants motifs de décoration. M1Ie Claudel a cherché, dans son
Persée vainqueur de Méduse, le style ramassé et nerveux de la Grèce
archaïque ; mais son héros est d’un galbe bien rachitique, et l’hor-
reur du masque hagard, hérissé de serpents, s’atténue de toute la
vulgarité d’un type de mégère. La Nymphe des sources de M. Escoula,
un peu grêle d’aspect, semble moins présider à leur naissance que
leur demander la santé.
La vie professionnelle et champêtre a inspiré à Dalou son
dernier ouvrage : un journalier de la terre s’apprêtant au dur labeur
de la houe, sobre et tranquille figure qui respire toute la quiétude
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très claire dans son érotisme paisible, et le haut-relief de M. Ver-
mare, qui ne manque pas d’allure, avec son Rhône emporté et sau-
vage, le long duquel la Saône se laisse paresseusement flotter.
M. Puech a ciselé dans les marbres les plus précieux une
Pensée d'un sentiment un peu mièvre, mais d’une grâce alanguie et
rêveuse, qui pose à nouveau le problème de la polychromie des
statues. L’artiste l’a résolu, comme les anciens Grecs, par une
combinaison tout arbitraire de tons, ne visant qu’à faire vibrer une
belle tache dans l’atmosphère, sans nul souci de reproduire littéra-
lement la nature. Au même moment, M. Gérôme, appliquant dans
sa Joueuse de boules le système inverse, imitait jusqu’au trompe-
l’œil les nuances de la peau, des yeux, des cheveux, dans l’espoir
de donner l'impression d'une femme de chair subitement transmuée
en marbre. Grêlait oublier que, plus la copie de la vie devient servile,
plus elle fait inévitablement penser à ce qui lui manque pour la
réaliser : le mouvement, la chaleur, le souffle. Aussi la comparaison
n'a-t-elle pas tourné à l'avantage du vieux maître. La marqueterie
de M. Puech, dans son parti pris très franc de transposition, réalise
un effet joliment décoratif, par l’éclat des matières et la richesse des
colorations. La dame callipyge de M. Gérôme, avec ses fossettes, ses
plis de reins, la tonalité grasse et fade de l’épiderme, donnerait, tout
au plus, l’illusoire prurit d’une exhibition libertine. La sensualité
dont cette figure regorge ne choque pourtant point dans le groupe
de M. Lambeaux, La Folle Chanson, malgré sa fougue charnelle.
C’est que, par l’agrandissement des formes et l'emploi d’éléments
mythiques, le drame amoureux qu’il exprime prend un caractère
d’universalité et se transforme en symbole des forces naturelles en
action. Dans un esprit de généralisation identique, M. de Saint-
Marceaux personnifie Les Saisons par quatre nus de femmes en très
faible relief méplat, dont les fines indications de modelé font de
charmants motifs de décoration. M1Ie Claudel a cherché, dans son
Persée vainqueur de Méduse, le style ramassé et nerveux de la Grèce
archaïque ; mais son héros est d’un galbe bien rachitique, et l’hor-
reur du masque hagard, hérissé de serpents, s’atténue de toute la
vulgarité d’un type de mégère. La Nymphe des sources de M. Escoula,
un peu grêle d’aspect, semble moins présider à leur naissance que
leur demander la santé.
La vie professionnelle et champêtre a inspiré à Dalou son
dernier ouvrage : un journalier de la terre s’apprêtant au dur labeur
de la houe, sobre et tranquille figure qui respire toute la quiétude