Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art (3. Pér. 28.1902)

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS

gravité inquiétant. J’accourus rue Jean-Nicot afin d’avoir de ses nou-
velles. Sans insister pour entrer auprès de lui, après quelques mots
échangés avec sa femme, je m’étais retiré. Sur son désir, on avait
couru après moi, dans la rue, et j’étais introduit dans sa chambre.
En dépit de son bon sourire, dans l’altération de ses traits et l’expres-
sion de son regard je voyais déjà la mort présente, qui prenait pos-
session de lui. Après quelques mots de reconnaissance pour les
soins dont il était entouré, comme en le quittant j’essayais, ainsi
qu’on fait d’ordinaire, de le rassurer et que je lui disais: « Au revoir !
— Non, répondit-il, c’est adieu! » Puis apercevant sa femme près de
son lit, pour lui éviter une peine inutile, il s’était repris : « Adieu,
jusqu’à demain. » Le soir même, après une crise d’assez vives dou-
leurs, il s’éteignait.

Bernier a tenu sa place au premier rang de notre école de paysa-
gistes. C’est par la distinction, la force et la sincérité absolue de
ses interprétations que le peintre attitré de la Bretagne est arrivé à
la poésie. Son nom sera conservé. Ceux qui restent de ses amis ne
l’oublieront pas. Avec celle qui le pleure, ils garderont le souvenir de
cette âme si bonne, si tendre, si compatissante à toutes les infortunes,
de cette vie dont la droiture fut parfaite. En le conduisant à sa der-
nière demeure, tous se disaient entre eux que sciemment il n’avait
jamais fait le mal ; aucun de nous n’a su tout le bien qu’il a fait.

ÉMILE MICHEL