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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Voici pourtant qui est plus moderne : c’est, parmi les grâces d’un
riant paysage, une jeune fille assise qui caresse la symbolique licorne
des Farnèse. Cette peinture, placée au-dessus de la porte, est du
Dominiquin. Aux extrémités de la galerie, Pcrsée pétrifie les La-
pithes avec la tôle de Méduse, et Persée délivre Andromède.[Les car-
touches représentent Polyphôme, ici farouche et redoutable, là
tranquille et jouant de la flûte. Enfin, quatre médaillons symbo-
lisant la Justice, la Tempérance, la Force et la Charité rappellent que
ces peintures ont été exécutées pour un prince de l'Eglise. Dans
cette abondance de dieux bien nourris, de déesses voluptueuses,
et de demi-dieux, nymphes, tritons, amples et joyeux, on recon-
naît sans peine le peintre moelleux de tant de saints et de saintes
potelés, l’évocateur facile de mythologies fort peu antiques. Ces
scènes triomphales et amoureuses étaient en harmonie avec le goût
d’une époque doucereuse, où l’on commença d’aimer la poésie pré-
cieuse. le sigisbéisme et l’opéra, et tout ce qui fut le propre du
xvue siècle italien .
Depuis le temps du cardinal Farnèse jusqu’à nos jours, bien des
hôtes ont habité la vieille demeure. Les ministres de Parme, les
ambassadeurs napolitains, les ambassadeurs français y ont trouvé
successivement asile. Après Pier Luigi, fils de Paul III, la tante de
Charles-Quint, Marguerite d’Autriche, gouvernante des Pays-Bas, y
fixa sa résidence. Les ministres de Parme occupèrent une autre partie
du palais. En 1655, c’est la reine Christine qui vint s’installer au
palais Farnèse. En 1738, c’est l’infant don Carlos, fils de Philippe V
et d’Elisabeth Farnèse, roi des Deux-Siciles, qui hérita de sa mère la
somptueuse demeure romaine. La branche masculine de Parme était
éteinte; le palais passa aux rois de Naples. Les ambassadeurs napo-
litains y remplacèrent simplement les ambassadeurs de Parme. Puis
ce furent pour le palais des temps troublés : en 1799, le roi de Naples
vient à Rome; en 1815, les ambassadeurs napolitains reparaissent;
en 1804, François II de Bourbon, chassé de son royaume, revient dans
l’antique habitation des Farnèse. Quant à la France, ses séjours
au palais Farnèse remontent loin. C’est au xvne siècle que,
pour la première fois, elle s’y logea; les lys qui courent sur
les frises purent alors passer pour des lys de France. Créqui
l’habita quand Louis XIV, après neuf années de rupture, reprit
ses rapports avec le pape ; son successeur, le marquis de Lavar-
din, garda la même résidence. L’entrée de Créqui, en 1662, avait
été solennelle. Parti de la porte du Peuple et venu par le Corso,
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Voici pourtant qui est plus moderne : c’est, parmi les grâces d’un
riant paysage, une jeune fille assise qui caresse la symbolique licorne
des Farnèse. Cette peinture, placée au-dessus de la porte, est du
Dominiquin. Aux extrémités de la galerie, Pcrsée pétrifie les La-
pithes avec la tôle de Méduse, et Persée délivre Andromède.[Les car-
touches représentent Polyphôme, ici farouche et redoutable, là
tranquille et jouant de la flûte. Enfin, quatre médaillons symbo-
lisant la Justice, la Tempérance, la Force et la Charité rappellent que
ces peintures ont été exécutées pour un prince de l'Eglise. Dans
cette abondance de dieux bien nourris, de déesses voluptueuses,
et de demi-dieux, nymphes, tritons, amples et joyeux, on recon-
naît sans peine le peintre moelleux de tant de saints et de saintes
potelés, l’évocateur facile de mythologies fort peu antiques. Ces
scènes triomphales et amoureuses étaient en harmonie avec le goût
d’une époque doucereuse, où l’on commença d’aimer la poésie pré-
cieuse. le sigisbéisme et l’opéra, et tout ce qui fut le propre du
xvue siècle italien .
Depuis le temps du cardinal Farnèse jusqu’à nos jours, bien des
hôtes ont habité la vieille demeure. Les ministres de Parme, les
ambassadeurs napolitains, les ambassadeurs français y ont trouvé
successivement asile. Après Pier Luigi, fils de Paul III, la tante de
Charles-Quint, Marguerite d’Autriche, gouvernante des Pays-Bas, y
fixa sa résidence. Les ministres de Parme occupèrent une autre partie
du palais. En 1655, c’est la reine Christine qui vint s’installer au
palais Farnèse. En 1738, c’est l’infant don Carlos, fils de Philippe V
et d’Elisabeth Farnèse, roi des Deux-Siciles, qui hérita de sa mère la
somptueuse demeure romaine. La branche masculine de Parme était
éteinte; le palais passa aux rois de Naples. Les ambassadeurs napo-
litains y remplacèrent simplement les ambassadeurs de Parme. Puis
ce furent pour le palais des temps troublés : en 1799, le roi de Naples
vient à Rome; en 1815, les ambassadeurs napolitains reparaissent;
en 1804, François II de Bourbon, chassé de son royaume, revient dans
l’antique habitation des Farnèse. Quant à la France, ses séjours
au palais Farnèse remontent loin. C’est au xvne siècle que,
pour la première fois, elle s’y logea; les lys qui courent sur
les frises purent alors passer pour des lys de France. Créqui
l’habita quand Louis XIV, après neuf années de rupture, reprit
ses rapports avec le pape ; son successeur, le marquis de Lavar-
din, garda la même résidence. L’entrée de Créqui, en 1662, avait
été solennelle. Parti de la porte du Peuple et venu par le Corso,