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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Élisabeth, mais plus encore clans cet autre tableau qui lui est aussi attribué,
où l’on voit trois personnages en vêtements austères groupés autour d’une ma-
quette de la coupole de Brunellesco (collection de Ml,e Hertz, Rome). On a voulu
y reconnaître Zuccari lui-même expliquant ses projels de décoration, ou peut-
être aussi l’historien et érudit florentin Don Vincenzo Rorghini, prieur de l’hos-
pice des Innocents et auteur des Discorsi sur les antiquités de Florence. Un jour
délicat entre par le fond et glisse sur les murs gris, donnant à ce colloque d’ar-
chitectes le sérieux presque conventuel d’une réunion de syndics ou de mathé-
maticiens à Amsterdam ou à Harlem1.
Avant même le Baciccio, dont j’ai déjà été amené à parler,l’école génoise est,
elle aussi, très puissamment représentée par Bernardo Strozzi, qui se fit capucin.
Son Chevalier de Malte (Musée Brera, à Milan), cet étrange portrait hirsute de la
Galerie impériale de Vienne qui, sous le titre Un inconnu, semble retracer une
tête de mendiant; la figure de Capucin de la Pinacothèque de Naples, quelques
autres toiles encore, mettent l’artiste fort en valeur2. L’énergique fran-
chise de la touche, comme aussi le goût du réalisme volontiers vulgaire et popu-
laire (à rapprocher de quelques-uns des portraits de l’Exposition le Mendiant de
la galerie Corsini de Rome) semblent indiquer une influence méridionale, napo-
litaine ou espagnole.
Ces deux réalismes, napolitain et espagnol, nés de l’intérêt incessant de la
vie de la rue, de la révélation toujours renouvelée du geste et de la physionomie,
ne fusionnent-ils pas du reste, et cette fusion n’est-elle pas définitivement scellée
par Ribera, ce fils de l’Espagne formé par Caravage, et qui est authentiquement
considéré en Italie, où il poursuivit d’ailleurs son œuvre, comme un peintre
italien ?
Un des résultats capitaux de l’Exposition du Portrait sera l’importance attri-
buée de nouveau à l’école napolitaine, ainsi que celle révélée par un noyau de
peintres bergamasques, dont le plus grand est Vitlore Ghislandi.
Certes, il n’y avait pas besoin d’autre preuve que la Descente de Croix du Vati-
can pour démontrer que Michelangelo da Caravaggio était un très beau peintre,
robuste dans ses modelés, savant dans sa composition, savoureux dans sa pâte,
sonore dans sa couleur. Englober un tel peintre dans une décadence générale,
c’est pécher par esprit de système et par manque de discernement. Il ne peut
être question de décadence quand il n’y a, comme ici, ni inexpérience, ni esca-
motage, ni grimace, quand le métier est aussi sûr et l’expression aussi puis-
sante. Ce que l’on peut trouver d'artifice dans cette œuvre est inhérent à l’ouvrage
de tout peintre volontaire, conscient de sa recherche, et préoccupé défaire de son
tableau un tout, c’est-à-dire une combinaison personnelle, — un « arrangement »,
comme aurait dit le coloriste qu’était Whistler, — aussi bien par les accords et
les contrastes de couleurs que par le lien de la composition et l’arabesque
linéaire. Qui serait, à ce prix-là, plus artificiel que Léonard ou que Rembrandt?
1. Au groupe des Marches se rattache Federigo Baroccio, qui figure au Palais Vieux
avec un joli portrait du Prince Frédéric cl’Urbino enfant, encore revêtu de la longue
robe, à l’âge où les petits garçons sont encore petites filles.
2. Depuis l’ouverture de l’Exposition est venu s'ajouter un beau et important por-
trait du Doge Francesco Erizzo,
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Élisabeth, mais plus encore clans cet autre tableau qui lui est aussi attribué,
où l’on voit trois personnages en vêtements austères groupés autour d’une ma-
quette de la coupole de Brunellesco (collection de Ml,e Hertz, Rome). On a voulu
y reconnaître Zuccari lui-même expliquant ses projels de décoration, ou peut-
être aussi l’historien et érudit florentin Don Vincenzo Rorghini, prieur de l’hos-
pice des Innocents et auteur des Discorsi sur les antiquités de Florence. Un jour
délicat entre par le fond et glisse sur les murs gris, donnant à ce colloque d’ar-
chitectes le sérieux presque conventuel d’une réunion de syndics ou de mathé-
maticiens à Amsterdam ou à Harlem1.
Avant même le Baciccio, dont j’ai déjà été amené à parler,l’école génoise est,
elle aussi, très puissamment représentée par Bernardo Strozzi, qui se fit capucin.
Son Chevalier de Malte (Musée Brera, à Milan), cet étrange portrait hirsute de la
Galerie impériale de Vienne qui, sous le titre Un inconnu, semble retracer une
tête de mendiant; la figure de Capucin de la Pinacothèque de Naples, quelques
autres toiles encore, mettent l’artiste fort en valeur2. L’énergique fran-
chise de la touche, comme aussi le goût du réalisme volontiers vulgaire et popu-
laire (à rapprocher de quelques-uns des portraits de l’Exposition le Mendiant de
la galerie Corsini de Rome) semblent indiquer une influence méridionale, napo-
litaine ou espagnole.
Ces deux réalismes, napolitain et espagnol, nés de l’intérêt incessant de la
vie de la rue, de la révélation toujours renouvelée du geste et de la physionomie,
ne fusionnent-ils pas du reste, et cette fusion n’est-elle pas définitivement scellée
par Ribera, ce fils de l’Espagne formé par Caravage, et qui est authentiquement
considéré en Italie, où il poursuivit d’ailleurs son œuvre, comme un peintre
italien ?
Un des résultats capitaux de l’Exposition du Portrait sera l’importance attri-
buée de nouveau à l’école napolitaine, ainsi que celle révélée par un noyau de
peintres bergamasques, dont le plus grand est Vitlore Ghislandi.
Certes, il n’y avait pas besoin d’autre preuve que la Descente de Croix du Vati-
can pour démontrer que Michelangelo da Caravaggio était un très beau peintre,
robuste dans ses modelés, savant dans sa composition, savoureux dans sa pâte,
sonore dans sa couleur. Englober un tel peintre dans une décadence générale,
c’est pécher par esprit de système et par manque de discernement. Il ne peut
être question de décadence quand il n’y a, comme ici, ni inexpérience, ni esca-
motage, ni grimace, quand le métier est aussi sûr et l’expression aussi puis-
sante. Ce que l’on peut trouver d'artifice dans cette œuvre est inhérent à l’ouvrage
de tout peintre volontaire, conscient de sa recherche, et préoccupé défaire de son
tableau un tout, c’est-à-dire une combinaison personnelle, — un « arrangement »,
comme aurait dit le coloriste qu’était Whistler, — aussi bien par les accords et
les contrastes de couleurs que par le lien de la composition et l’arabesque
linéaire. Qui serait, à ce prix-là, plus artificiel que Léonard ou que Rembrandt?
1. Au groupe des Marches se rattache Federigo Baroccio, qui figure au Palais Vieux
avec un joli portrait du Prince Frédéric cl’Urbino enfant, encore revêtu de la longue
robe, à l’âge où les petits garçons sont encore petites filles.
2. Depuis l’ouverture de l’Exposition est venu s'ajouter un beau et important por-
trait du Doge Francesco Erizzo,