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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 4. Pér. 6.1911

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https://doi.org/10.11588/diglit.24876#0535

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BIBLIOGRAPHIE

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veut toute la lumière pour la forme physique, tandis qu’il jette un voile de
pudeur sur les mouvements de l’âme; ceux-ci n’en sont pas moins expressifs :
la douleur qui prend la figure de la mélancolie ne perd pas en pathétique ce
qu’elle gagne en dignité. Il est souvent difficile de savoir si la statue dressée sur
la dalle funéraire évoque les regrets du mort ou l’affliction des survivants; ou
plutôt ces deux idées se confondent en une image qui nous représente à la fois
la beauté et la brièveté de la vie. Les visages de la maladie et de la vieillesse,
trop semblables à celui de la mort, ne se montrent pas sur les tombeaux. Plus
tard, quand on revient aux symboles et à la mythologie, le génie de la mort,
Thanatos, a une apparence aimable et jeune. Sans les accessoires qui désignent
l’une ou l’autre de ces divinités, on douterait si telle statue personnifie Thanatos,
Hypnos ou Eros lui-même. Suivant l’interprétation très vraisembable que
M. Collignon admet pour le fameux groupe de San Ildefonso, Hypnos et Thanatos
sont deux beaux jeunes hommes qu’une tendre amitié unit : la douceur est
empreinte sur leurs visages autant que la gravité, et nulle œuvre ne nous fait
mieux comprendre que le sommeil et la mort se ressemblent fraternellement.

Ce n’est pas par impuissance à serrer de près la réalité que les Grecs, à la
meilleure époque de l’art, ont omis dans leurs statues iconiques ces particularités
individuelles que rendent avec succès les portraitistes modernes, héritiers des
Romains. De nombreuses caricatures en terre cuite nous montrent avec quelle
acuité d’observation ils savaient saisir tout ce qui, par l'effet de l’àge, des infir-
mités, des habitudes professionnelles, fait dévier de son type canonique la forme
humaine. Mais ils jugeaient de telles recherches indignes du marbre; c’étaient
là des amusements d’idéalistes, comme les bizarres déformations que, bien des
siècles plus tard, Léonard de Vinci jetait sur le papier pour se délasser de ses
grandes œuvres. Même quand, après Lysippe, la sculpture commence à incliner
vers le réalisme, le portrait vise au type plutôt qu’à l’individu. Il est, dit M. Col-
lignon, « l’effigie impersonnelle du mort : il en consacre le souvenir avec une
forme généralisée qui en fait la beauté et la dignité J ». Cette généralilé, qui se
traduit aussi par la mesure, par une décence exquise dans l’expression des sen-
timents, est cause qu’après plus de deux mille ans ces poétiques images nous
émeuvent encore, doucement et profondément, tandis que le réalisme véridique
des portraits qui ornent les sarcophages romains ne contente guère que notre
curiosité. Qu’à la meilleure des effigies romaines on compare la statue de Mau-
sole, où la volonté de reproduire la ressemblance du mort est pourtant mani-
feste : la slatue de Mausole est un portrait, mais elle représente avant tout un
type, curieux et complexe d’ailleurs : le roi barbare hellénisé.

Ainsi, ce livre a une portée qui dépasse son sujet. Composé par un écrivain
qui possède une égale information de la littérature et de la plastique des
Anciens, il nous invite à méditer sur quelques-uns des aspects les plus originaux
de l’esprit grec. Une illustration riche, ingénieuse, méthodique nous introduit
dans un musée idéal : à côté de morceaux peu connus, choisis pour leur valeur
historique, des statues célèbres, que tout le monde croit connaître, prennent
une signification qui en renouvelle pour nous la beauté.

PAUL JAMOT

1. P. 265.
 
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