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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 5. Pér. 1.1920

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Nr. 1
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Dorbec, Prosper: La sensibilité picturale chez Saint-Beuve: (à l'occasion du cinquentenaire de sa mort)
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https://doi.org/10.11588/diglit.24918#0074

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LA SENSIBILITÉ PICTURALE CHEZ SAINTE-BEUVE

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fait prévoir ces marines d’immobile sérénité sur lesquelles plane le regard en
certains tableaux de Millet peints dans les champs élevés de Gréville. Là les
hautes vagues, dans leurs efforts contre les brisants, sont notées avec une
exactitude qui suppose bien des moments passés à les observer.

Ces aspects de la nature dont Sainte-Beuve a gardé le souvenir lui suggére-
ront des équivalences pour rendre l’idée de bien des choses. Amaury
a recours plus d’une fois à ce procédé. Bien plus tard même, dans une des
nouvelles annexées à la série des « Portraits de femmes » (Mma de Pontivÿ),
ne voyons-nous pas la haie du château de VVierre réapparaître pour nous
fournir la comparaison la plus gracieuse? Voulant dépeindre le plaisir de deux
amants à se pencher sur la même lecture, à y savourer les mêmes passages,
(( tandis qu’ils sentent vivre leur amour sous celte concordance de leur juge-
ment », une image s’offre à la pensée de l’écrivain, l’image d’une charmille à
travers laquelle, tout en marchant, les deux amants s’entretiendraient : « on
se retrouve à de certaines ouvertures de feuillage, on se regarde un moment,
on se touche la main, et l’on continue derrière le riant rideau...»

Cependant à ses impressions personnelles en face de la nature venaient
s'adjoindre celles de J.-J. Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre, Chateau-
briand, Sénancour, qu’il lisait beaucoup en achevant ses études. Mais ils ne
deviendront pas ses vrais modèles ; le caractère dç leurs descriptions ne
répondait qu’insulllsamment à ses goûts natifs. Il lut des poètes d’outre-
Manche, avec qui il se découvrit de bien plus certaines affinités.

Ce n'étaient pas les plus grands, mais ceux qui lui dépeignaient sous des
traits familiers cette contrée britannique qui fut comme mêlée à l’horizon de
son enfance et d’où, par sa mère, il tirait une ptartie de ses origines. Joseph
Delorme et Amaury citent Kirke White, William Cowper. Ce dernier, qu’il
se plaisait parfois à traduire, fera un jour l’objet de deux « causeries du
lundi ». — Mais aux « lakistes » allait sa prédilection. D’eux aussi il a
transposé quelques morceaux dans notre idiome. Coleridge, Wordsworth
font volontiers partir l’essor de leur pensée d’un familial coin de paysage,
observé de près et dans son détail. Au lieu du vaste paysage ondoyant de
Lamartine, de cette nature « comme saisie à vol d’oiseau » par le chantre
de Jocelyn. il trouvait dans cette poésie insulaire la nature « plus exac-
temenl close et comme entre deux haies », que son enfance avait affec-
tionnée.

Quoi qu il en ait dit, il lui est resté dans toute sa carrière comme un instinct
de paysagiste. Dans un vieil auteur du cru un coin de paysage bien français
le mettra au comble de l’aise. Quelques lignes de Henri IV vantant à Mme de
Grammont la région de Marans sur la Sèvre Niortaise, cela aussitôt fait
 
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