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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
image à ses yeux : « Quel pays riant de fraîcheur, tout égayé de reflets et
traversé de lumières! comme il est bien français, agreste, naturel, voisin du
peuple et de nous-mêmes ! » On dirait qu’en même temps il avait à la pensée
cl revoyait quelqu’un de ces morceaux apaisés, sereins, égayés aussi de reflets,
traversés de lumières, que le souvenir de la même contrée a inspirés à Théo-
dore Rousseau. Et dans le sonnet de Du Bellay sur le retour au pays natal
(« Heureux qui, comme Ulysse... »), cette douceur angevine qu’y salue à sa
rentrée le poète ! S’il existe sur le compte des Angevins une tradition de
facilité puisée dans les biens de la vie, comme le paysagiste qu il est a bien
su ressentir que la locution envisage en même temps une certaine « suavité
de 1 air » particulière à la région1! Voyez son plaisir à la « causerie du
lundi » qui le met en présence d’un thème, d’un écrivain — l’Anglais
William Cowper, Ramond le peintre des Pyrénées, Sismondi et son tableau
de l’agriculture toscane en 1801..., — apportant à son existence livresque
l’occasion d’un peu de détente au milieu des champs; — son plaisir aussi,
dans son labeur d’historien de Port-Royal, lorsque, parmi ces types de soli-
taires à dessiner chacun dans son trait propre, il peut dresser le portrait de
M. d’Andilly venant à nous, la serpe à la main, le long de ses espaliers en
fleurs, ou la silhouette de M. Hamon qui, monté sur son âne, un livre ouvert
devant lui sur l’espèce de pupitre qu’un bâton maintient au-dessus de la selle,
s’en va de la sorte par les chemins porter les soins à ses malades. Non loin
de M. llamon, il demeurera à se représenter le jeune Racine composant sa
suite de strophes sur le paysage qui l’environne, attentif aux reflets de l’étang,
au vol rasant de l hirondelle sur l eau. Si, au « vallon béni », un entretien
a lieu entre Pascal et M. de Sacy, il ne manquera pas de retracer le cadre
tout champêtre d’un aussi unique et sublime entretien, et il appellera en
pendant le spectacle antique fameux qui ouvre le dialogue du Phèdre :
Socrate faisant asseoir ses interlocuteurs à l'ombre du platane, les pieds bai-
gnés dans lllissus2... Après quoi ses secrétaires ont pu nous l’évoquer
à son tour, au déclin des journées d’été, descendant dans son jardinet de
1. Elle se révéla à lui dans un voyage qu’il lit en 1835 à Angers, pour y assister avec
\ ictor Hugo et sa femme au mariage de leur ami commun Victor Pavie. — 11 sut même
en passant noter sur la Loire un effet de matin offrant toute la luminosité vaporeuse des
futurs Corot :
Et la lune cnrlormio à son tour se couchant,
l'ont bientôt ne devient, le matin approchant,
Qu’une même et tendre lumière,
Comme en venant j’ai vu, vers l’aube, près de Blois,
Ciel, coteaux, tout blanchir et nager à la fois
En votre Loire hospitalière.
a. Port-Royal, t. 11, livre III, chapitre 1.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
image à ses yeux : « Quel pays riant de fraîcheur, tout égayé de reflets et
traversé de lumières! comme il est bien français, agreste, naturel, voisin du
peuple et de nous-mêmes ! » On dirait qu’en même temps il avait à la pensée
cl revoyait quelqu’un de ces morceaux apaisés, sereins, égayés aussi de reflets,
traversés de lumières, que le souvenir de la même contrée a inspirés à Théo-
dore Rousseau. Et dans le sonnet de Du Bellay sur le retour au pays natal
(« Heureux qui, comme Ulysse... »), cette douceur angevine qu’y salue à sa
rentrée le poète ! S’il existe sur le compte des Angevins une tradition de
facilité puisée dans les biens de la vie, comme le paysagiste qu il est a bien
su ressentir que la locution envisage en même temps une certaine « suavité
de 1 air » particulière à la région1! Voyez son plaisir à la « causerie du
lundi » qui le met en présence d’un thème, d’un écrivain — l’Anglais
William Cowper, Ramond le peintre des Pyrénées, Sismondi et son tableau
de l’agriculture toscane en 1801..., — apportant à son existence livresque
l’occasion d’un peu de détente au milieu des champs; — son plaisir aussi,
dans son labeur d’historien de Port-Royal, lorsque, parmi ces types de soli-
taires à dessiner chacun dans son trait propre, il peut dresser le portrait de
M. d’Andilly venant à nous, la serpe à la main, le long de ses espaliers en
fleurs, ou la silhouette de M. Hamon qui, monté sur son âne, un livre ouvert
devant lui sur l’espèce de pupitre qu’un bâton maintient au-dessus de la selle,
s’en va de la sorte par les chemins porter les soins à ses malades. Non loin
de M. llamon, il demeurera à se représenter le jeune Racine composant sa
suite de strophes sur le paysage qui l’environne, attentif aux reflets de l’étang,
au vol rasant de l hirondelle sur l eau. Si, au « vallon béni », un entretien
a lieu entre Pascal et M. de Sacy, il ne manquera pas de retracer le cadre
tout champêtre d’un aussi unique et sublime entretien, et il appellera en
pendant le spectacle antique fameux qui ouvre le dialogue du Phèdre :
Socrate faisant asseoir ses interlocuteurs à l'ombre du platane, les pieds bai-
gnés dans lllissus2... Après quoi ses secrétaires ont pu nous l’évoquer
à son tour, au déclin des journées d’été, descendant dans son jardinet de
1. Elle se révéla à lui dans un voyage qu’il lit en 1835 à Angers, pour y assister avec
\ ictor Hugo et sa femme au mariage de leur ami commun Victor Pavie. — 11 sut même
en passant noter sur la Loire un effet de matin offrant toute la luminosité vaporeuse des
futurs Corot :
Et la lune cnrlormio à son tour se couchant,
l'ont bientôt ne devient, le matin approchant,
Qu’une même et tendre lumière,
Comme en venant j’ai vu, vers l’aube, près de Blois,
Ciel, coteaux, tout blanchir et nager à la fois
En votre Loire hospitalière.
a. Port-Royal, t. 11, livre III, chapitre 1.