Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 5. Pér. 1.1920

DOI issue:
Nr. 1
DOI article:
Dorbec, Prosper: La sensibilité picturale chez Saint-Beuve: (à l'occasion du cinquentenaire de sa mort)
DOI Page / Citation link:
https://doi.org/10.11588/diglit.24918#0081

DWork-Logo
Overview
Facsimile
0.5
1 cm
facsimile
Scroll
OCR fulltext
68

GAZETTE DES BEAUX-ARTS

Sainte-Beuve devait aimer à regarder leurs tableaux, les chaumières de
Camille Fiers enfouies à moitié dans les pâturages picards ou normands, et
surtout les chemins bordés d’aubépine affectionnés par Louis Cabat. Maints
endroits de ses poèmes ou de son roman témoignent de la communion de
ses idées avec celles de ces novateurs résolus, surs de faire triompher, dans
l’interprétation de la nature, la cause du naturalisme : ce qu’il aime, c’est en
effet « cheminer », c’est

. . . un champ, un peu d’eau qui murmure,

Un vent frais agitant une grêle ramure,

L’étang sous la bruyère avec le jonc qui dort...

Quelque jeune arbre au loin dans un air immobile,

Découpant sur l’azur son' feuillage débile ;

A travers l’épaisseur d’une herbe qui reluit,

Quelque sentier poudreux qui rampe et qui s’enfuit...

On a noté ce goût du maladif Joseph Delorme pour la « grêle ramure »,
le « feuillage débile », la nature étiolée, mais il ne lui était pas particulier: il
l’avait pu rencontrer chez ces jeunes peintres, ses compagnons, car ils se
plaisaient à opposer à la luxuriance toute conventionnelle étalée par le pay-
sage historique des fragments d’aride campagne traduits avec la plus scrupu-
leuse conscience; ils fixaient volontiers leur observation sur les plaines les
plus dépouillées; même celles de la banlieue n’étaient pas dédaignées. Deux
morceaux fameux dans les ateliers, et qui furent même acquis pour des col-
lections princières au Salon de 1831, celui où Cabat reproduisait un coin de
l’ancien Jardin Beaujon abandonné et tombé en friche et la Lisière de bois
coupé dans la foret de Compiègne à laquelle Théodore Rousseau a dû le com-
mencement de sa célébrité, offraient aux premiers plans, pour assiette de
leur point de vue, toute une étendue de sol ainsi dégarnie et pelée : « hor-
rible nature », était-elle définie par Delécluze observant le tableau de Rousseau,
« la désolation de Jérusalem jointe à la mesquinerie sèche de Montrouge ».
Montrouge était précisément une de ces plates régions que Sainte-Beuve
connaissait bien pour en avoir son logis peu éloigné, et où Joseph Delorme
se laissait volontiers ramener dans ses flâneries mélancoliques. La curiosité le
prit de consacrer quelques vers à en faire ressortir le caractère ; c’est dans
la pièce intitulée La Plaine, où, sous un pâle rayon d’octobre, son œil a
observé et son expression, son modelé, pourrait-on dire, ont du plus près
suivi tous les mouvements, toutes les particularités du terrain :

Oh ! que la plaine est triste autour du boulevard !

C’est au premier coup d’œil une morne étendue,

Sans couleur...
 
Annotationen