LA SENSIBILITÉ PICTURALE CHEZ SAINTE-BEUVE
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De.grands tas au rebord des carrières de plâtre,
Des moulins qui n’ont rien à moudre, ou ne pouvant
Qu’à peine remuer leurs quatre ailes au vent...
. . . des jachères pierreuses
Et de maigres sillons en veines malheureuses
Que la bêche, à défaut de charrue, a creusés,
Et sur des ceps de vigne des échalas brisés ;
De la cendre par place, un reste de fumée
Et le sol tout noirci de paille consumée...
Autant qu’aux jeunes artistes de son temps le ciel s’est révélé à lui la partie
capitale dans un paysage. Un ciel ne suffit-il pas à assurer l’intérêt du plus
dépouillé des motifs, à donner au plus banal une note de particularité ? lien
a, dans Volupté, consigné de très lins, surtout au-dessus de la région pari-
sienne, où il s’en offre souvent d’un nuancé si subtil. Considérez bien que
ces particularités d’effets avaient été jusque-là en France interdites aux peintres
de paysages, qui devaient se borner à une vérité générale, qu’elles commen-
çaient seulement à solliciter la curiosité visuelle d’un Théodore Rousseau, et
que l’opiniâtreté de ce grand audacieux à les reproduire allait faire de lui un
incompris pendant près de vingt années. Voici une « étude » insérée dans
Volupté, qu’on dirait être la transcription d’une de ses œuvres :
Un effet singulier de lumière..., au milieu d’un paysage obscurci, illuminait
juste le sommet d’une petite hutte verdoyante et le bouquet d’acacias qui le couronnait.
On était sur la fin d’avril, il faisait un doux ciel de cette saison, à demi voilé en tous
sens d’un rideau de nuages floconneux et peu épais, un ciel bas légèrement cerné de
toutes parts à l’horizon comme un dais enveloppé, mais diminuant d’opacité et de
voile à mesure qu’on approchait du centre, et là seulement tout à fait dégagé au
milieu, à l’endroit où les rayons verticaux de l’astre avaient la force de percer... un
de ces ciels comme on accuserait un peintre qui le ferait, de faire peu naturel et
bizarre.
Ce terrain simple et broussailleux, la lumière vers le fond du tableau irra-
diant d’en haut, puis qui va dépérissant, cédant devant l'opacité bitumeuse
des ombres, c'est tout à fait dans la manièredu peintre du Givree t des Terrains
d’automne, en ses années de romantisme, en ses années d’exclusion du
Salon.
Ce goût de la notation particulière l’amène à observer les époques non
tranches ou plutôt encore naissantes des saisons. Elles l’intéressent d’autant
plus que le caractère en est plus délicat à définir et que c’est une curiosité que
de trouver pour les rendre les tons justes. Dans Volupté se marque quelque
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De.grands tas au rebord des carrières de plâtre,
Des moulins qui n’ont rien à moudre, ou ne pouvant
Qu’à peine remuer leurs quatre ailes au vent...
. . . des jachères pierreuses
Et de maigres sillons en veines malheureuses
Que la bêche, à défaut de charrue, a creusés,
Et sur des ceps de vigne des échalas brisés ;
De la cendre par place, un reste de fumée
Et le sol tout noirci de paille consumée...
Autant qu’aux jeunes artistes de son temps le ciel s’est révélé à lui la partie
capitale dans un paysage. Un ciel ne suffit-il pas à assurer l’intérêt du plus
dépouillé des motifs, à donner au plus banal une note de particularité ? lien
a, dans Volupté, consigné de très lins, surtout au-dessus de la région pari-
sienne, où il s’en offre souvent d’un nuancé si subtil. Considérez bien que
ces particularités d’effets avaient été jusque-là en France interdites aux peintres
de paysages, qui devaient se borner à une vérité générale, qu’elles commen-
çaient seulement à solliciter la curiosité visuelle d’un Théodore Rousseau, et
que l’opiniâtreté de ce grand audacieux à les reproduire allait faire de lui un
incompris pendant près de vingt années. Voici une « étude » insérée dans
Volupté, qu’on dirait être la transcription d’une de ses œuvres :
Un effet singulier de lumière..., au milieu d’un paysage obscurci, illuminait
juste le sommet d’une petite hutte verdoyante et le bouquet d’acacias qui le couronnait.
On était sur la fin d’avril, il faisait un doux ciel de cette saison, à demi voilé en tous
sens d’un rideau de nuages floconneux et peu épais, un ciel bas légèrement cerné de
toutes parts à l’horizon comme un dais enveloppé, mais diminuant d’opacité et de
voile à mesure qu’on approchait du centre, et là seulement tout à fait dégagé au
milieu, à l’endroit où les rayons verticaux de l’astre avaient la force de percer... un
de ces ciels comme on accuserait un peintre qui le ferait, de faire peu naturel et
bizarre.
Ce terrain simple et broussailleux, la lumière vers le fond du tableau irra-
diant d’en haut, puis qui va dépérissant, cédant devant l'opacité bitumeuse
des ombres, c'est tout à fait dans la manièredu peintre du Givree t des Terrains
d’automne, en ses années de romantisme, en ses années d’exclusion du
Salon.
Ce goût de la notation particulière l’amène à observer les époques non
tranches ou plutôt encore naissantes des saisons. Elles l’intéressent d’autant
plus que le caractère en est plus délicat à définir et que c’est une curiosité que
de trouver pour les rendre les tons justes. Dans Volupté se marque quelque