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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 5. Pér. 1.1920

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Nr. 1
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Dorbec, Prosper: La sensibilité picturale chez Saint-Beuve: (à l'occasion du cinquentenaire de sa mort)
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https://doi.org/10.11588/diglit.24918#0083

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS

part son ravissement à la vue de ces paysages de Raphaël où, derrière le type
de la Vierge, les arbres, « par un sentiment d’harmonie et comme de
pudeur », n’offrent que quelques feuilles, si rares qu'on les pourrait compter.
Voici encore tel de ses paysages, à lui, auxquels se complaisait son pinceau :

C’était à Auteuil, un jour d’avril ; dans un petit chemin prolongé dont la terre était
rouge et tendre nous nous promenions solitaires ; la saison peu avancée n’avait jeté au
front du taillis que ces milliers de feuilles qui pointent et qui ne sont point poussées
encore. Nous avions dans toute la longueur de l’allée un fond de ciel clair sans un
seul nuage, sans rougeur vive et sans étoiles ; nous n’allions ni du côté du soleil
couché ni du côté de la lune levante. Quelque chose de vague, de fuyant, d’indécis,
de clair-obscur et de clairsemé composait cette vue et ce moment ; une douce vapeur
rousse végétale était répandue sur tout cela...h

C’est plus défini que du Corot, plus tendu et subtil que du Rousseau ; on
dirait déjà comme du Daubigny. Ce qui dans la nature parle à Sainte-Beuve
annonce les prédilections du peintre d’Auvers. N’élaient-ils pas comme du
Daubigny ces fameux « coteaux modérés » qui faisaient le repos el le charme
de la vue chez ses amis de Précy-sur-Oise ?

Notez dans la citation l’importance du mot moment, souligné. Il nous dit
quelles étaient déjà les préoccupations des ateliers et comment la peinture de
paysage tendrait vers une analyse de plus en plus impartiale, une transcrip-
tion de plus en plus « objective ».

Il y a lieu de constater ici combien les idées de Sainte-Beuve en matière
descriptive ont suivi la même évolution que la peinture de son temps. Elles
avaient commencé par donner dans le (( subjectivisme «romantique : il fallait
exprimer ce secret, ce sentiment intime des choses, qui est précisément la
part de nous mêmes que nous leur communiquons et qui, selon la définition
fameuse, fait du paysage « un état d’âme ». — Qui veut connaître ses prin-
cipes d alors sur cet art de la description doit les aller chercher dans ses
leçons sur Chateaubriand. — Mais il ne se met bientôt plus en peine de
visées aussi subtiles, et il en arrive à ne plus rien tant préférer que les termes
simples, positifs, francs sans crudité, par lesquels savait se manifester le natu-
ralisme « avant l'invention, disait-il, des lunettes et lorgnons de couleur »,
— par exemple, chez les grands modèles du xvn' siècle. A tout il préfère la i.

i. Et le romancier d’ajouter que deux êtres qui s’aiment un peu subtilement et comme
à distance font une promenade au milieu de toutes sortes de conversations qui sont
pareilles à cette vue du ciel et du sentier : elles sont « douces, nuancées, fuyantes, sans
étoile vive, sans trop d’éclat ni d’ombre, mais délicates aussi, subobscures, parsemées d’une
sobre teinte indéfinissable, comme cette rousseur printanière des bois sur un fond de
sérénité. » Quoi de plus fin, notait Burty, que cette remarque au point de vue du ton, tel
que les délicats le veulent aujourd’hui !
 
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