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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Trinité. Comment, sans tomber dans un anthropomorphisme assez grossier,
représenter la Toute-Puissance infinie ou la Sagesse divine? On les symbo-
lise, on les suggère. Une main sortant d’un nuage est l’image de Dieu le
Père, la colombe celle du Saint-Esprit. Lorsque, néanmoins, on veut leur
donner une forme humaine, on ne peut en imaginer d’autre que celle du
Dieu fait homme, du Christ lui-même. Encore faut-il, pour reconnaître le
Père ou le Saint-Esprit sous les traits du Christ, qu’il y ait une indication
précise, qui nous paraît manquer ici.
Pour pénétrer le sens véritable des œuvres qui nous occupent, il faut
avant tout se souvenir que les artistes du xne siècle ne s’intéressaient nulle-
ment au côté historique, au côté épisodique des scènes qu’ils représentaient,
mais s’attachaient uniquement à leur interprétation dogmatique, à ce qu’ils
considéraient comme leur signification profonde. Ils ne se souciaient pas du
tout, comme le feront leurs successeurs du xvc et du xvic siècle, de repro-
duire tel ou tel épisode des Ecritures avec l’exactitude pittoresque d’un
spectateur qui aurait assisté aux événements et qui voudrait peindre uni-
quement ce qu’il a vu. Ils voyaient, eux, avec les yeux du croyant, et ils
cherchaient surtout à faire comprendre et à enseigner.
Qu’importe, alors, que le nombre des Apôtres ait été à tel moment de onze
ou de douze, ce qui paraît préoccuper beaucoup la scrupuleuse érudition de
M. l’abbé Fabre, mais qui embarrassait sans doute fort peu les sculpteurs des
tympans romans? Qu’importe surtout que le Christ ait été ou non présent
matériellement le jour de la Pentecôte, qu’il se soit ou non manifesté, qu’il
y ait eu ou non « Christophanie » ? Ce qui est certain au point de vue du
théologien, ce qui est attesté par les promesses répétées de Jésus rapportées
en maints passages des Evangiles (Jean, XIV, i5, 16, 26; XV, 26; XVI, 7 ;
Luc, XXIV, 4g), ce qui est attesté par le récit même de la Pentecôte tel que
le relatent les Actes des Apôtres, c’est que c’est le Christ qui a envoyé
l’Esprit-Saint, le divin Paraclet à ses Apôtres : « Dextera igilur Del exaltatus
et promissione Spiritus sancti accepta a Pâtre, ejfudit hune, quem vos videtis
et auditis. » (Actes, II, 33). Ce que les artistes romans ont voulu représenter,
c’est précisément le Christ, le Christ ressuscité et monté aux cieux, le Christ
glorieux, envoyant le Saint-Esprit sur les Apôtres.
Cette représentation idéale de la Pentecôte, absolument conforme aux
textes sacrés, trouvait sa place dans les manuscrits, aussi bien pour orner le
chapitre des Actes des Apôtres ayant trait à la Pentecôte, comme dans le
Nouveau Testament du Vatican, que pour illustrer les passages des Evan-
giles dans lesquels le Christ promet la venue de Paraclet (ou les homélies
qui les commentent), comme dans le Lectionnaire de Cluny. A Vézelay on
l’a jugée digne de remplacer, au tympan du grand portail, les représentations
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Trinité. Comment, sans tomber dans un anthropomorphisme assez grossier,
représenter la Toute-Puissance infinie ou la Sagesse divine? On les symbo-
lise, on les suggère. Une main sortant d’un nuage est l’image de Dieu le
Père, la colombe celle du Saint-Esprit. Lorsque, néanmoins, on veut leur
donner une forme humaine, on ne peut en imaginer d’autre que celle du
Dieu fait homme, du Christ lui-même. Encore faut-il, pour reconnaître le
Père ou le Saint-Esprit sous les traits du Christ, qu’il y ait une indication
précise, qui nous paraît manquer ici.
Pour pénétrer le sens véritable des œuvres qui nous occupent, il faut
avant tout se souvenir que les artistes du xne siècle ne s’intéressaient nulle-
ment au côté historique, au côté épisodique des scènes qu’ils représentaient,
mais s’attachaient uniquement à leur interprétation dogmatique, à ce qu’ils
considéraient comme leur signification profonde. Ils ne se souciaient pas du
tout, comme le feront leurs successeurs du xvc et du xvic siècle, de repro-
duire tel ou tel épisode des Ecritures avec l’exactitude pittoresque d’un
spectateur qui aurait assisté aux événements et qui voudrait peindre uni-
quement ce qu’il a vu. Ils voyaient, eux, avec les yeux du croyant, et ils
cherchaient surtout à faire comprendre et à enseigner.
Qu’importe, alors, que le nombre des Apôtres ait été à tel moment de onze
ou de douze, ce qui paraît préoccuper beaucoup la scrupuleuse érudition de
M. l’abbé Fabre, mais qui embarrassait sans doute fort peu les sculpteurs des
tympans romans? Qu’importe surtout que le Christ ait été ou non présent
matériellement le jour de la Pentecôte, qu’il se soit ou non manifesté, qu’il
y ait eu ou non « Christophanie » ? Ce qui est certain au point de vue du
théologien, ce qui est attesté par les promesses répétées de Jésus rapportées
en maints passages des Evangiles (Jean, XIV, i5, 16, 26; XV, 26; XVI, 7 ;
Luc, XXIV, 4g), ce qui est attesté par le récit même de la Pentecôte tel que
le relatent les Actes des Apôtres, c’est que c’est le Christ qui a envoyé
l’Esprit-Saint, le divin Paraclet à ses Apôtres : « Dextera igilur Del exaltatus
et promissione Spiritus sancti accepta a Pâtre, ejfudit hune, quem vos videtis
et auditis. » (Actes, II, 33). Ce que les artistes romans ont voulu représenter,
c’est précisément le Christ, le Christ ressuscité et monté aux cieux, le Christ
glorieux, envoyant le Saint-Esprit sur les Apôtres.
Cette représentation idéale de la Pentecôte, absolument conforme aux
textes sacrés, trouvait sa place dans les manuscrits, aussi bien pour orner le
chapitre des Actes des Apôtres ayant trait à la Pentecôte, comme dans le
Nouveau Testament du Vatican, que pour illustrer les passages des Evan-
giles dans lesquels le Christ promet la venue de Paraclet (ou les homélies
qui les commentent), comme dans le Lectionnaire de Cluny. A Vézelay on
l’a jugée digne de remplacer, au tympan du grand portail, les représentations