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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Vraiment, loin d’être, comme il le redoutait, un simple peintre de genre,
un peintre d anecdotes — « l’anecdote dans l’art, c’est le fait au lieu de l’idée
plastique » — il montrait et par la composition et l’équilibre des lignes, et
par le geste et l’expression, les plus hautes qualités du peintre d’histoire.
C’est comme tel qu'il est à considérer dans la grande toile de la Curée (au
musée du Louvre). Là, à une lumière sereine où Ingres eût reconnu le « gris
historique » qu’il préconisait, à des colorations de pierres précieuses qui
disent le voisinage de son ami Gustave Moreau, s’allie un dessin dont on
sent le trait exaltant avec amour la beauté de la forme humaine. Mais là sur-
tout se manifeste ce néo-classicisme dont il gardait l’empreinte, ami des spec-
tacles calmes, aspirant à ce beau éternel que l’antique nous a légué. Il y faut
en effet, sous le pittoresque des costumes, découvrir l'hellénisme de l’inten-
tion. Il se montre en toute évidence dans l’étude au trait du tableau, qui
nous met en face de motifs marmoréens où se sent la hantise du Parthénon.
Et c’est par une inspiration plastique survenue à la dernière heure qu’il a
remplacé à l’arrière-plan le groupe de cavaliers regardant l’horizon par ce
cheval hennissant qui surgit comme celui qu’on voit émerger encore au
fronton oriental du temple de l’Acropole.
Ainsi que le prouve bien le coursier blanc, tout frémissant, prêt à partir
comme une flèche, mais qu'étreignent les jambes du fauconnier, sa joie d’ar-
tiste est plus que jamais de trouver la formule vivante d’un aspect de 1 art
grec dans cette étroite union de certains indigènes avec le cheval, que,
jeunes, ils montent à demi nus : avec l’animal leur corps nerveux paraît
ne faire qu’un comme s’ils étaient fils de centaures. Il a dans une de ses des-
criptions si concises, qui sont à la ressemblance parfaite de ses dessins, fait
ressortir lui-même toute l’expression plaslique qu’il goûtait dans le cheval
arabe et à laquelle il lui arrivait même, en poète, de sacrifier la vérité rigou-
reuse pour magnifier davantage l’animal : « Douce et vaillante bête!... Une
fois en selle et la bride haute, l’homme n’a plus besoin de faire sentir l’épe-
ron. Elle secoue la tête un moment..., son cou se renverse en arrière et se
renfle en un pli superbe; puis la voilà qui s’enlève, emportant son cavalier
avec ces grands mouvements de corps qu’on donne aux statues équestres. »
Et : « mêlez l’homme au cheval, donnez au torse l’initiative et la volonté,
donnez au reste du corps les attributs combinés de la promptitude et de la
vigueur... De ce monstre aux proportions réelles, qui n’est que l’alliance
audacieusement figurée d’un robuste cheval et d’un bel homme », la Grèce
artiste « a fait l'éducateur de ses héros, l’inventeur de ses sciences, le pré-
cepteur du plus agile, du plus brave et du plus beau des hommes ». Cette
plastique a pris tant d’empire sur lui qu’elle se dépouille à ses yeux de tous
les accessoires de lieu et de circonstance, de tout le pittoresque qui la recou-
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Vraiment, loin d’être, comme il le redoutait, un simple peintre de genre,
un peintre d anecdotes — « l’anecdote dans l’art, c’est le fait au lieu de l’idée
plastique » — il montrait et par la composition et l’équilibre des lignes, et
par le geste et l’expression, les plus hautes qualités du peintre d’histoire.
C’est comme tel qu'il est à considérer dans la grande toile de la Curée (au
musée du Louvre). Là, à une lumière sereine où Ingres eût reconnu le « gris
historique » qu’il préconisait, à des colorations de pierres précieuses qui
disent le voisinage de son ami Gustave Moreau, s’allie un dessin dont on
sent le trait exaltant avec amour la beauté de la forme humaine. Mais là sur-
tout se manifeste ce néo-classicisme dont il gardait l’empreinte, ami des spec-
tacles calmes, aspirant à ce beau éternel que l’antique nous a légué. Il y faut
en effet, sous le pittoresque des costumes, découvrir l'hellénisme de l’inten-
tion. Il se montre en toute évidence dans l’étude au trait du tableau, qui
nous met en face de motifs marmoréens où se sent la hantise du Parthénon.
Et c’est par une inspiration plastique survenue à la dernière heure qu’il a
remplacé à l’arrière-plan le groupe de cavaliers regardant l’horizon par ce
cheval hennissant qui surgit comme celui qu’on voit émerger encore au
fronton oriental du temple de l’Acropole.
Ainsi que le prouve bien le coursier blanc, tout frémissant, prêt à partir
comme une flèche, mais qu'étreignent les jambes du fauconnier, sa joie d’ar-
tiste est plus que jamais de trouver la formule vivante d’un aspect de 1 art
grec dans cette étroite union de certains indigènes avec le cheval, que,
jeunes, ils montent à demi nus : avec l’animal leur corps nerveux paraît
ne faire qu’un comme s’ils étaient fils de centaures. Il a dans une de ses des-
criptions si concises, qui sont à la ressemblance parfaite de ses dessins, fait
ressortir lui-même toute l’expression plaslique qu’il goûtait dans le cheval
arabe et à laquelle il lui arrivait même, en poète, de sacrifier la vérité rigou-
reuse pour magnifier davantage l’animal : « Douce et vaillante bête!... Une
fois en selle et la bride haute, l’homme n’a plus besoin de faire sentir l’épe-
ron. Elle secoue la tête un moment..., son cou se renverse en arrière et se
renfle en un pli superbe; puis la voilà qui s’enlève, emportant son cavalier
avec ces grands mouvements de corps qu’on donne aux statues équestres. »
Et : « mêlez l’homme au cheval, donnez au torse l’initiative et la volonté,
donnez au reste du corps les attributs combinés de la promptitude et de la
vigueur... De ce monstre aux proportions réelles, qui n’est que l’alliance
audacieusement figurée d’un robuste cheval et d’un bel homme », la Grèce
artiste « a fait l'éducateur de ses héros, l’inventeur de ses sciences, le pré-
cepteur du plus agile, du plus brave et du plus beau des hommes ». Cette
plastique a pris tant d’empire sur lui qu’elle se dépouille à ses yeux de tous
les accessoires de lieu et de circonstance, de tout le pittoresque qui la recou-