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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
de grandes louanges à cause de ses imperfections. Toutefois, en réfléchis-
sant que le premier âge a donné la première impulsion au perfectionnement
qui suivit, on peut le louer plus que ne le permettrait un jugement rigou-
reusement artistique.
« Dans 1 âge suivant, l’art a fait des progrès à plusieurs points de vue. Et
pourtant qui est-ce qui osera affirmer que dans le deuxième âge on peut
trouver un artiste parfait en toute chose et capable de donner à l'invention,
au dessin et au coloris le raffinement atteint aujourd’hui? En effet, pour
obtenir un progrès sur les ouvrages du deuxième âge, il ne fallait pas suivre
la règle de trop près, mais trouver une liberté d’allure ordonnée dans la
règle. 11 fallait que l’invention fût abondante et variée, et qu’elle amenât la
beauté jusque dans les plus petites choses, afin que l’ordre parût bien orné.
Il est vrai que les artistes du deuxième âge savaient reproduire un bras bien
rond et une jambe bien droite, mais ils ne savaient pas créer avec une aisance
aimable une figure dont les muscles et la chair vivante parussent naturels
dans leurs nuances légères. Au contraire, leurs figures étaient si rudes et si
écorchées qu elles étaient pénibles à voir.
« Tout ce qui manquait au deuxième âge a été atteint dans l’âge suivant.
Par une règle bonne, par un ordre meilleur, par une mesure juste, par un
dessin parfait, par une grâce divine, par la variété des trouvailles, par la
profondeur de l’art, les figures peintes ou sculptées du troisième âge ont
reçu non seulement la perfection, mais aussi la parole. »
Voilà les idées générales selon lesquelles Vasari formule ses jugements sur
les artistes de la Renaissance.
On a dit qu il est admirable parce qu'il a inauguré le critérium historique
en tant qu’il jugeait les maîtres des deux premiers âges en rapport avec leur
temps et non suivant une règle abstraite d’esthétique. Mais c’est une équi-
voque. Faire l’histoire d'un artiste signifie profiler de tous les éléments histo-
riques pour comprendre et pour juger ce qu'il y a de supérieur dans son art.
Au contraire, Vasari que fait-il? Il rapporte toutes les imperfections du xiv"
et xvc siècle à la perfection de Michel-Ange. C’est dire qu'il ne fait véritable-
ment œuvre d’historien que lorsqu’il parle de Michel-Ange, et qu’il sacrifie
tous les artistes antérieurs en les comparant non entre eux, mais avec une
perfection qu’ils n’avaient pas recherchée et qui leur était étrangère. Par
exemple, pour juger Giollo historiquement, il faut expliquer comment il
a pu créer ses chefs-d’œuvre et non pas chercher dans Giotto ce qu’il y a
de différent entre lui et Michel-Ange, pour abaisser le premier et élever le
second. Voilà pourquoi la prétendue valeur historique de Vasari n’est en
réalité qu’un préjugé antihistorique.
Il ne faut pas évidemment inculper Vasari de cette erreur : cela signifie-
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de grandes louanges à cause de ses imperfections. Toutefois, en réfléchis-
sant que le premier âge a donné la première impulsion au perfectionnement
qui suivit, on peut le louer plus que ne le permettrait un jugement rigou-
reusement artistique.
« Dans 1 âge suivant, l’art a fait des progrès à plusieurs points de vue. Et
pourtant qui est-ce qui osera affirmer que dans le deuxième âge on peut
trouver un artiste parfait en toute chose et capable de donner à l'invention,
au dessin et au coloris le raffinement atteint aujourd’hui? En effet, pour
obtenir un progrès sur les ouvrages du deuxième âge, il ne fallait pas suivre
la règle de trop près, mais trouver une liberté d’allure ordonnée dans la
règle. 11 fallait que l’invention fût abondante et variée, et qu’elle amenât la
beauté jusque dans les plus petites choses, afin que l’ordre parût bien orné.
Il est vrai que les artistes du deuxième âge savaient reproduire un bras bien
rond et une jambe bien droite, mais ils ne savaient pas créer avec une aisance
aimable une figure dont les muscles et la chair vivante parussent naturels
dans leurs nuances légères. Au contraire, leurs figures étaient si rudes et si
écorchées qu elles étaient pénibles à voir.
« Tout ce qui manquait au deuxième âge a été atteint dans l’âge suivant.
Par une règle bonne, par un ordre meilleur, par une mesure juste, par un
dessin parfait, par une grâce divine, par la variété des trouvailles, par la
profondeur de l’art, les figures peintes ou sculptées du troisième âge ont
reçu non seulement la perfection, mais aussi la parole. »
Voilà les idées générales selon lesquelles Vasari formule ses jugements sur
les artistes de la Renaissance.
On a dit qu il est admirable parce qu'il a inauguré le critérium historique
en tant qu’il jugeait les maîtres des deux premiers âges en rapport avec leur
temps et non suivant une règle abstraite d’esthétique. Mais c’est une équi-
voque. Faire l’histoire d'un artiste signifie profiler de tous les éléments histo-
riques pour comprendre et pour juger ce qu'il y a de supérieur dans son art.
Au contraire, Vasari que fait-il? Il rapporte toutes les imperfections du xiv"
et xvc siècle à la perfection de Michel-Ange. C’est dire qu'il ne fait véritable-
ment œuvre d’historien que lorsqu’il parle de Michel-Ange, et qu’il sacrifie
tous les artistes antérieurs en les comparant non entre eux, mais avec une
perfection qu’ils n’avaient pas recherchée et qui leur était étrangère. Par
exemple, pour juger Giollo historiquement, il faut expliquer comment il
a pu créer ses chefs-d’œuvre et non pas chercher dans Giotto ce qu’il y a
de différent entre lui et Michel-Ange, pour abaisser le premier et élever le
second. Voilà pourquoi la prétendue valeur historique de Vasari n’est en
réalité qu’un préjugé antihistorique.
Il ne faut pas évidemment inculper Vasari de cette erreur : cela signifie-