NOUVELLES ÉTUDES SUR NICOLAS POUSSIN
93
J’ai essayé il y a quelques années* d’identifier les « quatre Bacchanales »
dont parlent Bellori et Félibien. Les textes des deux auteurs sont aussi affir-
matifs l’un que l’autre sur le nombre de ces peintures ; mais la rédaction en
est si peu claire que, lorsqu’on passe au détail, on se trouve fort embarrassé.
Une autre difficulté vient de ce que le chiffre de quatre Bacchanales semble
démenti par un témoignage de grande valeur, celui du fidèle ami et confident
de Poussin, M. de Chantelou, dans son précieux Journal du voyage du
cavalier Bernin en France'1. Le 25 juillet 1665, Chantelou reçoit l’illustre
Italien dans sa maison de la rue Saint-Thomas-du-Louvre et lui montre
les tableaux qu’il y avait rassemblés, entre autres « quelques copies
dont les originaux sont à Richelieu ». Il énumère ces « copies », le Cavalier
admire. Mais elles ne sont que trois, dans lesquelles on reconnaîtra, je
crois, avec certitude, les compositions que irons appelons maintenant le
Triomphe de Bacchus, le Triomphe de Pan et le Triomphe de Silène. Trois
Bacchanales et non quatre. Or il est bien difficile d’admettre que Chantelou,
voulant posséder les doubles des peintures faites pour le Cardinal, se soit
contenté de trois, s’il y en avait quatre à Richelieu.
Cependant il me paraissait impossible de ne pas tenir compte de ce fait
que le seul tableau désigné nominativement par Bellori et Félibien dans leur
allusion aux peintures de Richelieu est un « Triomphe de Neptune » dont le
double ne se trouvait pas chez Chantelou, ou au moins n’a pas été remarqué
par le cavalier Bernin. J’en concluais que les trois « Bacchanales » que le
visiteur du 25 juillet 1665 vit et admira, étaient, en effet, les seules qui, en
bonne mythologie, eussent droit à ce nom, mais qu’un « Triomphe de
Neptune » n’en faisait pas moins partie des peintures exécutées par Poussin
pour le grand Cardinal. Ce « Triomphe de Neptune », tout le monde s’accorde
à l’identifier avec une toile magnifique appartenant au Musée de l’Ermitage.
Smith l’intitule, non sans de bonnes raisons, Triomphe de Neptune et d’Amphi-
trite1 ; on l’appelle généralement aujourd’hui le Triomphe de Galatée. Si ce
« Triomphe de Neptune au milieu de la mer dans un char traîné par des
chevaux marins, avec suite et jeux de Tritons et de Néréides », comme dit
Bellori, ne relève pas à proprement parler du cycle de Bacchus, il est animé
d’une inspiration allégorique et mythologique si pareille que, sans serrer
l’étymologie de trop près, on a pris l’habitude de lui donner, comme aux
autres, le nom de Bacchanale. Et voilà le chiffre de quatre retrouvé.
Par des chemins plus ou moins différents, M. Walter Friedlaender et 1 2 3
1. Gazette des Beaux-Arts, 1921, t. II, p. 93 et suiv., Etudes sur Nicolas Poussin :
II. Les Bacchanales de Richelieu.
2. Paris, Gazette des Beaux-Arts, 1885, p. 63.
3. A catalogue raisonné..., Londres, 1837, t. VIII, n° 237.
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J’ai essayé il y a quelques années* d’identifier les « quatre Bacchanales »
dont parlent Bellori et Félibien. Les textes des deux auteurs sont aussi affir-
matifs l’un que l’autre sur le nombre de ces peintures ; mais la rédaction en
est si peu claire que, lorsqu’on passe au détail, on se trouve fort embarrassé.
Une autre difficulté vient de ce que le chiffre de quatre Bacchanales semble
démenti par un témoignage de grande valeur, celui du fidèle ami et confident
de Poussin, M. de Chantelou, dans son précieux Journal du voyage du
cavalier Bernin en France'1. Le 25 juillet 1665, Chantelou reçoit l’illustre
Italien dans sa maison de la rue Saint-Thomas-du-Louvre et lui montre
les tableaux qu’il y avait rassemblés, entre autres « quelques copies
dont les originaux sont à Richelieu ». Il énumère ces « copies », le Cavalier
admire. Mais elles ne sont que trois, dans lesquelles on reconnaîtra, je
crois, avec certitude, les compositions que irons appelons maintenant le
Triomphe de Bacchus, le Triomphe de Pan et le Triomphe de Silène. Trois
Bacchanales et non quatre. Or il est bien difficile d’admettre que Chantelou,
voulant posséder les doubles des peintures faites pour le Cardinal, se soit
contenté de trois, s’il y en avait quatre à Richelieu.
Cependant il me paraissait impossible de ne pas tenir compte de ce fait
que le seul tableau désigné nominativement par Bellori et Félibien dans leur
allusion aux peintures de Richelieu est un « Triomphe de Neptune » dont le
double ne se trouvait pas chez Chantelou, ou au moins n’a pas été remarqué
par le cavalier Bernin. J’en concluais que les trois « Bacchanales » que le
visiteur du 25 juillet 1665 vit et admira, étaient, en effet, les seules qui, en
bonne mythologie, eussent droit à ce nom, mais qu’un « Triomphe de
Neptune » n’en faisait pas moins partie des peintures exécutées par Poussin
pour le grand Cardinal. Ce « Triomphe de Neptune », tout le monde s’accorde
à l’identifier avec une toile magnifique appartenant au Musée de l’Ermitage.
Smith l’intitule, non sans de bonnes raisons, Triomphe de Neptune et d’Amphi-
trite1 ; on l’appelle généralement aujourd’hui le Triomphe de Galatée. Si ce
« Triomphe de Neptune au milieu de la mer dans un char traîné par des
chevaux marins, avec suite et jeux de Tritons et de Néréides », comme dit
Bellori, ne relève pas à proprement parler du cycle de Bacchus, il est animé
d’une inspiration allégorique et mythologique si pareille que, sans serrer
l’étymologie de trop près, on a pris l’habitude de lui donner, comme aux
autres, le nom de Bacchanale. Et voilà le chiffre de quatre retrouvé.
Par des chemins plus ou moins différents, M. Walter Friedlaender et 1 2 3
1. Gazette des Beaux-Arts, 1921, t. II, p. 93 et suiv., Etudes sur Nicolas Poussin :
II. Les Bacchanales de Richelieu.
2. Paris, Gazette des Beaux-Arts, 1885, p. 63.
3. A catalogue raisonné..., Londres, 1837, t. VIII, n° 237.