ANDRE MICHEL
329
On sait combien la période de guerre, qui interrompit la publication de
l'Histoire de l’Art lui fut cruelle à lui-même par les angoisses et les deuils
multipliés autour de lui. Ce fut, dès les premiers jours de la campagne, le
10 Août 1914, la perte du fiancé de sa plus jeune fille qu’il aimait déjà comme
un fils. Deux mois plus tard, le 13 Octobre, son propre fils Robert, brillant
élève de l’École de Chartes et de l’École de Rome devant qui s’ouvrait le
plus magnifique avenir tombait à Crouy à la tète de sa section d’infanterie.
« Il avait appris de son père, écrivait Emile Bertaux en 1916 dans la Gazette,
à servir la beauté aussi religieusement que la vérité », et l’on pourrait citer
des lettres infiniment touchantes de l’un à l’autre, respirant la confiance, la
fierté, l’affection la plus tendre et la plus passionnée. Ce fut un désastre irré-
parable pour le cœur d’André Michel. Cependant Robert laissait derrière lui
une jeune femme délicieuse qui « à force de grâce, a-t-on dit, et d’oubli
d’elle-même ranimait au foyer désolé l’espoir, la volonté de vivre ». L’odieux
attentat du Vendredi Saint 1918 la faucha dans sa fleur, avec les innocentes
victimes de l’obus allemand qui s’abattit sur l’église Saint-Gervais.
D’autres deuils encore, des tourments incessants pour ceux qui étaient en
ligne et pour ceux qu’ils avaient laissés en arrière, torturèrent pendant des
années ce cœur inquiet et meurtri. Son activité extérieure n’en fut pas dimi-
nuée. II se raidit au contraire et se multiplia pour « servir » quand même.
Conférences, voyages, rien ne lui coûtait en apparence. Mais il nous disait
fréquemment sa lassitude extrême, ses nerfs usés. Il m’écrivait, le
4 avril 1915:
Cette attente dans le noir est pour les vieux cœurs surmenés la plus dure des
épreuves: J'envie ceux qui, pour tromper l’angoisse de l’attente, ont le réconfort de
l’action, d'un devoir impérieux et immédiat, du danger!
et un peu plus tard le 20 juin :
Il faut chaque matin remonter sa machine et chaque jour le poids du chagrin est
plus lourd.
On ne peut lire sans émotion l’article qu’il écrivit en 1915 pour
la Gazette des Beaux-Arts sur Ce qu’ils ont détruit, ou sa préface pour la
série des recueils dont il avait entamé la publication sur les Trésors d’art de
la France meurtrie. A nul mieux qu’à lui ne s’applique la belle parole
d’Emile Mâle à propos de Reims. « Ceux qui pleuraient un fils trouvèrent
encore des larmes pour le martyre de la sainte église. » Avec quelle ardeur,
11 en exalta les beautés, avec quelle tristesse poignante, quelle foi dans
l'avenir, malgré tout, il en dit et répéta à satiété les souffrances, la résistance
robuste, et l’espoir de résurrection !
Bien des pages seraient à citer ici, parmi les plus belles, les plus éloquentes
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On sait combien la période de guerre, qui interrompit la publication de
l'Histoire de l’Art lui fut cruelle à lui-même par les angoisses et les deuils
multipliés autour de lui. Ce fut, dès les premiers jours de la campagne, le
10 Août 1914, la perte du fiancé de sa plus jeune fille qu’il aimait déjà comme
un fils. Deux mois plus tard, le 13 Octobre, son propre fils Robert, brillant
élève de l’École de Chartes et de l’École de Rome devant qui s’ouvrait le
plus magnifique avenir tombait à Crouy à la tète de sa section d’infanterie.
« Il avait appris de son père, écrivait Emile Bertaux en 1916 dans la Gazette,
à servir la beauté aussi religieusement que la vérité », et l’on pourrait citer
des lettres infiniment touchantes de l’un à l’autre, respirant la confiance, la
fierté, l’affection la plus tendre et la plus passionnée. Ce fut un désastre irré-
parable pour le cœur d’André Michel. Cependant Robert laissait derrière lui
une jeune femme délicieuse qui « à force de grâce, a-t-on dit, et d’oubli
d’elle-même ranimait au foyer désolé l’espoir, la volonté de vivre ». L’odieux
attentat du Vendredi Saint 1918 la faucha dans sa fleur, avec les innocentes
victimes de l’obus allemand qui s’abattit sur l’église Saint-Gervais.
D’autres deuils encore, des tourments incessants pour ceux qui étaient en
ligne et pour ceux qu’ils avaient laissés en arrière, torturèrent pendant des
années ce cœur inquiet et meurtri. Son activité extérieure n’en fut pas dimi-
nuée. II se raidit au contraire et se multiplia pour « servir » quand même.
Conférences, voyages, rien ne lui coûtait en apparence. Mais il nous disait
fréquemment sa lassitude extrême, ses nerfs usés. Il m’écrivait, le
4 avril 1915:
Cette attente dans le noir est pour les vieux cœurs surmenés la plus dure des
épreuves: J'envie ceux qui, pour tromper l’angoisse de l’attente, ont le réconfort de
l’action, d'un devoir impérieux et immédiat, du danger!
et un peu plus tard le 20 juin :
Il faut chaque matin remonter sa machine et chaque jour le poids du chagrin est
plus lourd.
On ne peut lire sans émotion l’article qu’il écrivit en 1915 pour
la Gazette des Beaux-Arts sur Ce qu’ils ont détruit, ou sa préface pour la
série des recueils dont il avait entamé la publication sur les Trésors d’art de
la France meurtrie. A nul mieux qu’à lui ne s’applique la belle parole
d’Emile Mâle à propos de Reims. « Ceux qui pleuraient un fils trouvèrent
encore des larmes pour le martyre de la sainte église. » Avec quelle ardeur,
11 en exalta les beautés, avec quelle tristesse poignante, quelle foi dans
l'avenir, malgré tout, il en dit et répéta à satiété les souffrances, la résistance
robuste, et l’espoir de résurrection !
Bien des pages seraient à citer ici, parmi les plus belles, les plus éloquentes