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42 —

façon, d’une manière plus ingénue, plus
convaincue ; qu’on en juge : la marché des
idées littéraires est marquée dans l’histoire
de la poésie en Allemagne à grands traits.
Chacun de ceux-ci est typique : il peint un
événement politique, une gloire, un désastre,
«ne passion, n’importe. Le trait est repris
par l’auteur, il le contourne, le creuse et
lui demande son mystère. Ici apparaît l’é-
lément moderne, c’est-à-dire l’esprit de
synthèse qui consiste à analyser la chose,
non dans l’atmosphère de l’époque à la-
quelle cette chose s’est produite, mais dans
le courant des idées appartenant à l’analv-
sateur. De sorte que ce qui aurait pu être
un tableau d'histoire ou de genre, local,
devient une leçon, c’est-à-dire que les faits
sont jugés, non passurla forme et l’impor-
tance accidentelle qu’ils ont eue, mais sur
leur valeur morale intrinsèque au point
de vue de la raison humaine. On compren-
dra facilement que l’histoire de l’inlluence
la poésie sur la civilisation acquiert, par
ce procédé, une solidité toute spéciale et
l’on s’étonnerait de voir un semblable sujet
traité d’une autre manière. En effet, la
poésie d’un peuple ne peut se faire com-
prendre que si vous comprenez son âme, or
celle-ci,dans les bruits du passé, est la seule
note qui restera éternellement juste.

Maintenant l’àme de ce peuple,résonnant
au toucher de M. Loise, il arrive que l’au-
teur regarde les horizons, lève la tète vers
le ciel, se sent pénétré de confiance, d’en-
thousiasme et d’ardeur, et que,sur un mode
qui arrive insensiblement au lyrisme, tant
ses convictions l’emportent, il prend à par-
tie l’humanité tout entière ou l’homme iso-
lément: il prophétise, ilmoralise, il fustige,
il éclaire, il anime, il chante, bref, il est
poète jusqu’au bout et poète réconfortant,
de cette vraie race de poètes qui, au lieu de
distiller des larmes, fourbissent les cœurs
et vont gaiement au combat pour Dieu et
la patrie.

Voulez-vous avoir une idée de l’auteur
quand il touche à la corde la plus délicate
de notre essence spirituelle ? Lisez les fraî-
ches et délicieuses pages que voici sur l’a-
mour germanique au moyen-âge.

< De toutes les passions de l’homme, la plus
poétique est l’amour parcequ’elle est à la fois la
plus douce et la plus forte. Mais si cette passion
est de tous les lieux et de tous les temps, elle, se
modifie selon les pays, selon les siècles, selon
les idées, selon l’âge et le sexe. Voulez-vous
connaître, la poésie de l’amour sensuel ? Deman-
dez-er. le secret à l’antiquité qui avait divinisé la
courtisane en la plaçant dans l’Olympe et instal-
lant son culte tantôt à Chypre, tantôt à Cythère
ou dans les bosquets de Paphos et d’Idalie. Mais
voulez-vous connaître la poésie de l’amour pur
et vraiment idéal, non de ce platonisme entière-
ment dégagé des sens, qui est une chimère et non
une réalité, mais de ce spiritualisme de l’amour
qui a son siège dans l’âme de l’objet aimé, au
lieu de prendre sa source dans les mouvements
égoïstes de la matière ? Demandez-en le secret à
la Germanie. Le pays où la femme, au temps de
Tacite, était un être presque divin, doué d’une
clairvoyance providentielle, sacrum etprovidum,
devait être, sous l’influence d’une religion qui a
fa:t d’une fille d’Eve la mère de Dieu, le berceau
du pur amour. Arrière les Briséis et les Hélène,
les Délie et les Çynthie, esclaves de tous les

caprices et de toutes les séductions des sens.
Arrière aussi les ardeurs des Sapho. Voici les
vraies héroïnes de l’amour de l’âme éprise des
chastes attraits de la beauté baptisée dans la
pudeur et dans la foi. »

« Pour comprendre et goûter la Minne germa-
nique du moyen-âge, il faut se reporter à ce
temps de la jeunesse où la femme est pour nous
un objet sacré que nous contemplons de loin
dans une sorte d’extase sans oser lui parler, de
peur que le trouble du visage et de la parole ne
trahisse les battements du cœur, quand l’aube des
premières amours s’est levée dans une poitrine
de vingt ans. L’incertitude où l’on est d’être aimé
comme on aime retient l’aveu timide sur les
lèvres. Les yeux seuls se déclarent, mais l’âme
n’a que des soupirs et le front des rougeurs et
des pâleurs pour langage. On veut plaire, on
craint de déplaire, et la femme aimée qui com-
prend d’instinct ce muet langage que toute parole
est impuissante à traduire, jouit d’entretenir
cette fièvre du cœur et des sens par une indiffé-
rence affectée que suit un frais sourire, versant
la douceur après l’amertume dans cette coupe
où l’amour se nourrit tour à tour de nectar et de
fiel. Cette alternative de crainte et d’espérance
est l’essence même de la poésie amoureuse, telle
qu’elle se montre dans la première jeunesse. Il
a dû en être ainsi depuis la naissance du monde
parmi les enfants des hommes. Mais voici où le
monde germanique se sépare complètement du
monde antique dans les manifestations de
l’amour. L’antiquité n’écoutait que les aspira-
tions sensuelles. L’homrne du nord, plus calme,
savoure les joies intimes qui naissent dans les
profondeurs de notre, être moral. Il ne vit pas
de sensations.il vit de sentiments. Sa religion
spiritualiste lui apprend à respecter celle pour
qui bat son cœur et dont le corps n’est rien que
l’enveloppe d’une âme. L’amour, dans une telle
nature d’homme, au printemps de la vie, a je
ne sais quoi d’auguste et de virginal qui ne
ressemble à rien de ce qu’a pu concevoir l’anti-
quité païenne et dont les anges seraient jaloux
si le ciel pouvait jalouser la terre. Le ciel ! il y
a du ciel dans cet amour, car le culte idéal de la
femme, au temps de la chevalerie, était une
religion. C’est le côté divin de son être qu’on
adorait en elle. Mais voici le caractère particu-
lier de ce culte chez les enfants du nord. Au
lieu de revêtir cette forme exaltée, familière aux
natures méridionales où l’âme elle-même con-
tracte les agitations des nerfs et les ardeurs du
sang, l’amour dans la poésie du Minnegesang
est si timide, si réservé, si respectueux, si
rêveur, si tendre, si profond et si pur que le
poète semble toujours craindre d’en avoir trop
dit et que le nom de la bien-aimée, scellé dans le
cœur,ne sort ni des lèvre ni de la plume, évitant
comme une souillure le contact des yeux et des
oreilles profanes. Ne croyez pas cependant que
ce ne soit là qu’un travail d’artiste décrivant
l’idéale beauté qu’il a rêvée.Non,cette discrétion,
cette timidité, cette réserve, ce n’est point le
signe de l’idéal sans réalité si prodigue d’hy-
perboles. Les poètes de la Minne ont senti ce
qu’ils exprimaient ; mais c’est un sentiment
profond et avare de paroles. Son caractère vir-
ginal l’a mis en harmonie avec les effluves du
printemps : printemps de la vie et printemps de
la nature, l’un est le miroir de l’autre. Au
joyeux mois de mai,quand voltigent les libellules
aux ailes diaphanes ; quand les boutons d’or et
de pourpre brillent dans la verdure au sein de la
bruyère ; quand, humides de rosée, les fleurs
ouvrent leur calice aux baisers du soleil et que
les gais oiseaux gazouillent au fond des bois, le
chantre du printemps des années soupire mé-
lodieusement au doux sourire de la femme que
son cœur s’est choisie. Là bas sous le tilleul,
les blondes enfants sautillent ; le rêveur qui les
contemple aperçoit sa bien-aimée, et, rom-
pant la chaîne," il la renoue en y soudant un
nouvel anneau, et le voilà qui saute en rond,
emporté dans la joie de l’essaim tournoyant.
Cette fraîcheur, cette gaîté printanière est un
des signes caractéristiques de la poésie du

Minnegesang. C’est la couleur et la note domi-
nante ; mais cette poésie, tant dépréciée depuis
par le pédantisme de l’érudition, ne se borne
pas à faire d’une seule saison le cadre de ses
chants. Ce n’est pas le papillon qui naît avec le
printemps peur mourir avec les roses, ni le ros-
signol dont la voix se tait quand le soleil, la-
pluie et les vents ont profané le feuillage où il
abritait le mystère de ses chants d’amour. Et
cependant telle est leur secrète harmonie avec la
nature que les Minnesinger ne célébreront jamais
Jes joies du cœur qu’avec le printemps et l’été,
et que, l’automne et l’hiver ne serviront qu’à exha-
ler la plainte et les douloureux soupirs d’un
amour malheureux. Sans doute les poètes du
Minnegesang n’attendaient pas les vents d’au-
tomne ni la neige des hivers pour exprimer la
mélancolie des regrets et des tristes abandons.
Mais ils voyaient dans les vicissitudes de l’an-
née l’image des vicissitudes de la passion, ces
alternatives de joie et de tristesse par lesquel-
les tout cœur doit passer. Cette poésie est
avant tout une œuvre de jeunesse, virginale
et pure comme si les sens n’y avaient point de
part. Ici point de jalousie, point de d’infidélité :
aucun de ces orages que suscite de la passion
brutale. Vous connaissez le mot si vrai de
do Staël : « L’amour est un épisode dans la vie
des hommes ; c’est la vie même de la femme. »
C’est cette douce et calme vie que le Minnege-
sang a chantée. Espérer contre toute espérance;
jouir du bonheur d’aimer et soupirer dans l’ab-
sence comme après le départ de l’oiseau des bois
dont on salue d’avance le retour, c’est là la na-
ture propre de la Minne germanique. Ce n’est
pas la poésie des hommes, c’est la poésie des
femmes. Pour la peindre ainsi, il faut, par je ne
sais quel prodige de l’amour, qu’une véritable
transsubstantiation s’opère de l’âme de la femme
dans celle de l’homme, qu’on ne vive plus en
soi, mais en elle, et qu’on pense, et qu’on sente
et qu’on exprime, comme elle aurait pensé, senti
et exprimé elle-même, en s’inspirant du côté
immuable et divin de sa pure et délicate ten-
dresse. Cette merveille, l’Allemagne a su l’ao-
eomplir au moyen-âge. Mais il a fallu pour cela
le concours de ces trois éléments : la chevalerie
et le christianisme greffés sur le culte naturel,
sur le respect sacré des Germains pour la fem-
me. Ni les troubadours ni les trouvères ne peu-
vent donner l’idée de cette admible pureté, de
cette ineffable candeur de la Minne germanique.
Ceux-ci adorent la femme, mais pour eux-mê-
mes. Le sensualisme est au fond de ce cuite
profane, chez les troubadours surtout, comme
dans l’épopée romanesque de la Table Ronde. Ce
n’est pas la nature qui inspire ces chantres de
l’amour idéal, c’est un parti pris d’adoration
féminine qui est une des clauses de l’honneur
et de la fidélité chevaleresque. Ce qu’on aime
dans la femme, c’est moins son âme que sa
beauté. Toute autre est la Minne des Allemands :
amour véritablement chrétien que le tempéra-
ment calme des homme du nord a pu seul con-
cevoir et réaliser. Moment unique dans l’histoire
du cœur humain, que les femmes pourraient
renouveler, si elle le voulaient ; mais celles qui
en sont capables n’écrivent pas : elle se bornent
à exhaler leurs parfums devant Dieu et au sein
du foyer domestique. Et elles ont mille fois rai-
son : c’est profaner les divins mystères de l’âme
que de les étaler devant ce publie indifférent oit
moqueur qui n’est avide que de scandale. »

Trouve-t-on beaucoup de pages comme
celles-là dans le bagage de nos littérateurs
modernes ? On en peut douter. Quel char-
rue ! quelle profondeur ! quelle palpitation
céleste au milieu de ces paroles frissonnan-
tes que nul ne peut entendre sans qu’une
partie de lui-même ne s’affaisse dans un mol
et doux recueillement !

Dans CHistoire de la poésie en Allemagne,
comme dans les autres livres de ce cycle,
la manière de l’auteur est intime et senten-
 
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