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cieuse, son discours tient de la conféren-
ce, admirable création moderne qui éta-
blit entre la science et l’art un trait
d’union des plus heureux et qui a tué le
pédantisme du fond non moins que celui
de la forme.Les besoins de la cause, c’est
à dire les nécessités de l’analyse, gagnent
à ce procédé une grande clarté de défini-
tion et conséquemment s’imposent sans le
savoir à l’entendement du lecteur. Presque
à chaque page le croyant, le poète se lève
et l’éclair de ses yeux se devine au feu de
sa parole. Il a une façon de raconter
qui laisse après elle comme des étin-
celles. Sans quitter le moins du monde
son sujet, tout cela se dit avec un air de
profonde conviction et de fraternelle solli-
citude ; il vous instruit, puis il vous con-
vainct, puis il vous exalte par quelque sou-
daine apostrophe où l’on reconnaît celui
<r qui veut plonger les racinesde l’art dans les
entrailles du peuple. » Il est certain que M.
Loise peut être considéré, à ne le prendre
que sous ce rapport, comme un des ensei-
gneurs les plus étonnants et les plus re-
marquables que les sphères scholastiques
aient produits de notre temps.
Mais esquissons rapidement le plan de
l’Histoire de la poésie en Allemagne.
Comme charpente, il n’y avait à prendre
que celle que l’histoire donne et qu’ont
adoptée les vieux maîtres et les maîtres les
plus modernes; Vilmar et Heinrich : trois
époques, primitive, chevaleresque et de
décadence. La première époque va de Ta-
cite à Rotswitha. La seconde de Roland
au moine Heinrich, la troisième de Die-
trich de Vérone à Luther. Une Introduction
domine le livre et des considérations géné-
rales précèdent chaque époque. C’est dans
cette partie pensée que l’on sent battre le
pouls de l’auteur et que l’on s’initie à son
tempérament.
L’Introduction est un travail d’élite ; c’est,
à coup sûr, un des plus belles choses que
M. Loise ait écrites. C’est une appréciation
du caractère général de l’Allemagne et de
sa littérature, comprise d’une façon nou-
velle au triple point de vue, humain, idéal
et social. Cette large étude est placée sous
l’égide de ces beaux vers de Lamartine :
L’égoisrae et la haine ont seuls une patrie ;
La fraternité n’en a pas !
Une très grande indépendance de carac-
tère jointe à une impartialité rare distinguent
ici l'historien dont les convictions chrétien-
nes se déploient énergiquement dans leur
essence de justice et de charité. Ce n’est
pas à dire que toutes les opinions de M.Loise
puissent être admises absolument par tout le
monde, mais certes elles seront respectées
là même où elles pourraient contrarier cel-
les des autres. C’est ainsi, qu’arrivé au mo-
ment de juger la réforme, l’écrivain émet
au sujet de cette grande étape sociale, des
visées très discutables, il faut en convenir,
mais qu’il présente avec une grande sincé-
rité d’allures. Du reste beaucoup de volu-
mes ontdéjàété écrits et le seront encore sur
cette question, par sa nature éminemment
sujette à discussion et ce n’est pas ici le lieu
pour s.’y immiscer.Tout ce que nous pouvons
faire,c’est de déclarer que ce débat religieux
est soulevé par M. Loise dans un sentiment
très élevé et en harmonie avec ce que récla-
maient de lui les exigences de la situation.il
ressort ausside tout cela une très grande ap-
titude de l’auteur à rechercher les influen-
ces politiques qui ont agi sur le siècle et
sur la nation. On semble même entrevoir,
sous l’homme littéraire,quelque chose com-
me un diplomate au courant des secrets de
la vie occulte des gouvernements et n’arri-
vant à ses conclusions que par la filière
très bien établie des conséquences provo-
quées par les événements du temps. Du
reste, dans tout le cours du livre, on voit
combien l’auteur est convaincu que la mar-
che de l’esprit humain se règle sur celle des
événements politiques. Ses vues sont lar-
ges et libérales et à chaque ligne se révèle
celte fierté libre qui lui permet de marcher
le front haut dans une foule qu’abusent,
hélas ! les sophismes, non-seulement de l’in-
crédulité religieuse,mais aussi, et non moins
fatalement, de l’incrédulité de soi-même.
Les Considérations générales placées devant
chaque époque ont toutes ce lumineux et
attrayant motif de liberté de conviction et
d’appréciation. Nous voudrions en donner
la preuve, mais l’espace nous manque et il
importe, avant de conclure, de citer som-
mairement les passages que nous tenons à
recommander.
Dans un denos précédentsnos, nous avons
reproduit un extrait du beau tableau qui
peint l’Allemagne et les tendances de sa
race. Aujourd’hui nous donnons ici même
une des plus charmantes définitions qui
se puissent rencontrer, sur l’amour dans la
Germanie. Les conceptions humaines sur la
divinité seront lues avec un puissant intérêt,
non-seulement par les penseurs, mais par
les amoureux de la forme littéraire. La
poésie des scakles est peinte avec une force
qui révèle ici une étude presque acharnée
de la matière.
La deuxième section du livre premier,
page 51,est d’un lyrisme surélevé: il s’agi-
du triomphe du Christianisme, c’est évi-
demment ce qu’il y a de mieux frappé dans
le volume. C’est aussi d’une science pro-
fonde et lumineuse. Toute cette deuxiè-
me section est fort belle. Lisez tout ce
que l’auteur dit du chant populaire, de la
poésie d’art, de la Bible d'Ulfilas, du poème
de Béowulf, les pages magnifiques consa-
crées à Walthcr d’Aquitaine. Au livre deu-
xième, nous signalerons, entre autres, \a lé-
gende de St Servais, traduite pour la pre-
mière fois du flamand, s’il vous plaît, car
son auteur, trop peu connu de nous-mê-
me, Henri de Veldeke, élait un belge ;
l’analyse étendue du fameux poème pétri
de sang, les Nibelungcn. Dans les Considé-
rations générales du livre troisième,nous ren-
controns une quinzaine de pages vraiment
magistrales. C’est le tableau de la chute de
la chevalerie,de l’abaissement de la papau-
té, de l’extinction de l’idéal ; une nouvelle
société se lève, l’imprimerie apparaît, la
culture des sciences se dessine, la renais-
sance irradie à l’horizon. Toutes ces pages
sont éclatantes de lumière et d’une inspi-
ration prophétique qui vous subjugue.
Dans l’époque de décadence,on trouvera de
charmantes pages sur les maîtres chanteurs;
lisez aussi les poètes mystiques et la satyre,
et la chanson populaire et l’épopée des ani-
maux Que ne disons-nous qu’il faut tout
lire, ce serait plus vite fait et plus vrai.
Et maintenant que nous avons fait notre
devoir, nous déposons la plume la con-
science satisfaite et tranquille : satisfaite
pareeque l’acquit d’une dette payée à la pa-
trie, au nom de la justice et du droit, em-
bellit toujours la vie modeste du critique :
tranquille, pareeque nous n’avons dit que
ce qui devait être dit. Assurément l’instru-
ment pouvait résonner mieux sous des
doigts plus habiles, mais ce n’est pas notre
faute si nous ne sommes pas plus fort. M.
Loise, du reste, se consolera de notre fai-
blesse : l’Allemagne lui a déjà témoigné
son admiration et sa gratitude, et, parmi
les hommes nouveaux qui sont l’honneur
de notre époque, il ne sera pas le dernier
que la postérité saluera. Ad. S.
ürancc.
{Correspondance particulière.)
Sommaire : M. Garnier, membre de l’Institut.
— La Vierge de la Délivrance par Hébert. —
M. Paternostre. — La décoration du Pan-
théon.
Je vous entretenais dans ma dernière
lettre du Nouvel Opéra, je vous annonce
aujourd’hui l’entrée à l’Institut de l’heu-
reux architecte de ce monument. M. Gar-
nier vient d’être élu, dans la séance du 14
Mars, par 25 voix sur 56 votants, en rem-
placement de Bal tard. Je n’ai pas à appré-
cier le choix que vient de faire l’Institut
dans la personne de M. Garnier. Toute la
vie de cet artiste se résume en ce moment
dans le difficile et gigantesque travail dont
le soin lui est échu. Beaucoup le con-
damnent sommairement, quelques-uns l’ap-
prouvent, et, vraisemblablement, Al. Gar-
nier rencontre des approbateurs en haut
lieu, puisque les maîtres de notre Ecole
d’architecture l’ont appelé dans leur sein
avec une si remarquable unanimité. Tout
les esprits sincères s’accordent à reconnaî-
tre l’audace et la persévérance dont Al.
Garnier n’a pas cessé de donner des preuves
depuis de longues années dans la pour-
suite de notre Théâtre, et, selon nous, le
devoir d’une critique consciencieuse est
d’attendre le complet achèvement d’une
œuvre avant d’en rien dire.
Puisque nous sommes à l’Institut, je
vous apprendrai que la section de peinture
ayant à faire une élection pour le fauteuil
de Couder, a inscrit au premier rang, parmi
les nombreux candidats à cette place, le
peintre Hébert, l’auteur populaire de la
Mal'aria. Hébert, vous vous en souvenez
peut-être, était, l’an dernier, directeur de
notre Ecole de Rome. C’est dans cette ville
qu’il a peint avec un sentiment religieux
très prononcé, sa Vierge de la Délivrance.
cieuse, son discours tient de la conféren-
ce, admirable création moderne qui éta-
blit entre la science et l’art un trait
d’union des plus heureux et qui a tué le
pédantisme du fond non moins que celui
de la forme.Les besoins de la cause, c’est
à dire les nécessités de l’analyse, gagnent
à ce procédé une grande clarté de défini-
tion et conséquemment s’imposent sans le
savoir à l’entendement du lecteur. Presque
à chaque page le croyant, le poète se lève
et l’éclair de ses yeux se devine au feu de
sa parole. Il a une façon de raconter
qui laisse après elle comme des étin-
celles. Sans quitter le moins du monde
son sujet, tout cela se dit avec un air de
profonde conviction et de fraternelle solli-
citude ; il vous instruit, puis il vous con-
vainct, puis il vous exalte par quelque sou-
daine apostrophe où l’on reconnaît celui
<r qui veut plonger les racinesde l’art dans les
entrailles du peuple. » Il est certain que M.
Loise peut être considéré, à ne le prendre
que sous ce rapport, comme un des ensei-
gneurs les plus étonnants et les plus re-
marquables que les sphères scholastiques
aient produits de notre temps.
Mais esquissons rapidement le plan de
l’Histoire de la poésie en Allemagne.
Comme charpente, il n’y avait à prendre
que celle que l’histoire donne et qu’ont
adoptée les vieux maîtres et les maîtres les
plus modernes; Vilmar et Heinrich : trois
époques, primitive, chevaleresque et de
décadence. La première époque va de Ta-
cite à Rotswitha. La seconde de Roland
au moine Heinrich, la troisième de Die-
trich de Vérone à Luther. Une Introduction
domine le livre et des considérations géné-
rales précèdent chaque époque. C’est dans
cette partie pensée que l’on sent battre le
pouls de l’auteur et que l’on s’initie à son
tempérament.
L’Introduction est un travail d’élite ; c’est,
à coup sûr, un des plus belles choses que
M. Loise ait écrites. C’est une appréciation
du caractère général de l’Allemagne et de
sa littérature, comprise d’une façon nou-
velle au triple point de vue, humain, idéal
et social. Cette large étude est placée sous
l’égide de ces beaux vers de Lamartine :
L’égoisrae et la haine ont seuls une patrie ;
La fraternité n’en a pas !
Une très grande indépendance de carac-
tère jointe à une impartialité rare distinguent
ici l'historien dont les convictions chrétien-
nes se déploient énergiquement dans leur
essence de justice et de charité. Ce n’est
pas à dire que toutes les opinions de M.Loise
puissent être admises absolument par tout le
monde, mais certes elles seront respectées
là même où elles pourraient contrarier cel-
les des autres. C’est ainsi, qu’arrivé au mo-
ment de juger la réforme, l’écrivain émet
au sujet de cette grande étape sociale, des
visées très discutables, il faut en convenir,
mais qu’il présente avec une grande sincé-
rité d’allures. Du reste beaucoup de volu-
mes ontdéjàété écrits et le seront encore sur
cette question, par sa nature éminemment
sujette à discussion et ce n’est pas ici le lieu
pour s.’y immiscer.Tout ce que nous pouvons
faire,c’est de déclarer que ce débat religieux
est soulevé par M. Loise dans un sentiment
très élevé et en harmonie avec ce que récla-
maient de lui les exigences de la situation.il
ressort ausside tout cela une très grande ap-
titude de l’auteur à rechercher les influen-
ces politiques qui ont agi sur le siècle et
sur la nation. On semble même entrevoir,
sous l’homme littéraire,quelque chose com-
me un diplomate au courant des secrets de
la vie occulte des gouvernements et n’arri-
vant à ses conclusions que par la filière
très bien établie des conséquences provo-
quées par les événements du temps. Du
reste, dans tout le cours du livre, on voit
combien l’auteur est convaincu que la mar-
che de l’esprit humain se règle sur celle des
événements politiques. Ses vues sont lar-
ges et libérales et à chaque ligne se révèle
celte fierté libre qui lui permet de marcher
le front haut dans une foule qu’abusent,
hélas ! les sophismes, non-seulement de l’in-
crédulité religieuse,mais aussi, et non moins
fatalement, de l’incrédulité de soi-même.
Les Considérations générales placées devant
chaque époque ont toutes ce lumineux et
attrayant motif de liberté de conviction et
d’appréciation. Nous voudrions en donner
la preuve, mais l’espace nous manque et il
importe, avant de conclure, de citer som-
mairement les passages que nous tenons à
recommander.
Dans un denos précédentsnos, nous avons
reproduit un extrait du beau tableau qui
peint l’Allemagne et les tendances de sa
race. Aujourd’hui nous donnons ici même
une des plus charmantes définitions qui
se puissent rencontrer, sur l’amour dans la
Germanie. Les conceptions humaines sur la
divinité seront lues avec un puissant intérêt,
non-seulement par les penseurs, mais par
les amoureux de la forme littéraire. La
poésie des scakles est peinte avec une force
qui révèle ici une étude presque acharnée
de la matière.
La deuxième section du livre premier,
page 51,est d’un lyrisme surélevé: il s’agi-
du triomphe du Christianisme, c’est évi-
demment ce qu’il y a de mieux frappé dans
le volume. C’est aussi d’une science pro-
fonde et lumineuse. Toute cette deuxiè-
me section est fort belle. Lisez tout ce
que l’auteur dit du chant populaire, de la
poésie d’art, de la Bible d'Ulfilas, du poème
de Béowulf, les pages magnifiques consa-
crées à Walthcr d’Aquitaine. Au livre deu-
xième, nous signalerons, entre autres, \a lé-
gende de St Servais, traduite pour la pre-
mière fois du flamand, s’il vous plaît, car
son auteur, trop peu connu de nous-mê-
me, Henri de Veldeke, élait un belge ;
l’analyse étendue du fameux poème pétri
de sang, les Nibelungcn. Dans les Considé-
rations générales du livre troisième,nous ren-
controns une quinzaine de pages vraiment
magistrales. C’est le tableau de la chute de
la chevalerie,de l’abaissement de la papau-
té, de l’extinction de l’idéal ; une nouvelle
société se lève, l’imprimerie apparaît, la
culture des sciences se dessine, la renais-
sance irradie à l’horizon. Toutes ces pages
sont éclatantes de lumière et d’une inspi-
ration prophétique qui vous subjugue.
Dans l’époque de décadence,on trouvera de
charmantes pages sur les maîtres chanteurs;
lisez aussi les poètes mystiques et la satyre,
et la chanson populaire et l’épopée des ani-
maux Que ne disons-nous qu’il faut tout
lire, ce serait plus vite fait et plus vrai.
Et maintenant que nous avons fait notre
devoir, nous déposons la plume la con-
science satisfaite et tranquille : satisfaite
pareeque l’acquit d’une dette payée à la pa-
trie, au nom de la justice et du droit, em-
bellit toujours la vie modeste du critique :
tranquille, pareeque nous n’avons dit que
ce qui devait être dit. Assurément l’instru-
ment pouvait résonner mieux sous des
doigts plus habiles, mais ce n’est pas notre
faute si nous ne sommes pas plus fort. M.
Loise, du reste, se consolera de notre fai-
blesse : l’Allemagne lui a déjà témoigné
son admiration et sa gratitude, et, parmi
les hommes nouveaux qui sont l’honneur
de notre époque, il ne sera pas le dernier
que la postérité saluera. Ad. S.
ürancc.
{Correspondance particulière.)
Sommaire : M. Garnier, membre de l’Institut.
— La Vierge de la Délivrance par Hébert. —
M. Paternostre. — La décoration du Pan-
théon.
Je vous entretenais dans ma dernière
lettre du Nouvel Opéra, je vous annonce
aujourd’hui l’entrée à l’Institut de l’heu-
reux architecte de ce monument. M. Gar-
nier vient d’être élu, dans la séance du 14
Mars, par 25 voix sur 56 votants, en rem-
placement de Bal tard. Je n’ai pas à appré-
cier le choix que vient de faire l’Institut
dans la personne de M. Garnier. Toute la
vie de cet artiste se résume en ce moment
dans le difficile et gigantesque travail dont
le soin lui est échu. Beaucoup le con-
damnent sommairement, quelques-uns l’ap-
prouvent, et, vraisemblablement, Al. Gar-
nier rencontre des approbateurs en haut
lieu, puisque les maîtres de notre Ecole
d’architecture l’ont appelé dans leur sein
avec une si remarquable unanimité. Tout
les esprits sincères s’accordent à reconnaî-
tre l’audace et la persévérance dont Al.
Garnier n’a pas cessé de donner des preuves
depuis de longues années dans la pour-
suite de notre Théâtre, et, selon nous, le
devoir d’une critique consciencieuse est
d’attendre le complet achèvement d’une
œuvre avant d’en rien dire.
Puisque nous sommes à l’Institut, je
vous apprendrai que la section de peinture
ayant à faire une élection pour le fauteuil
de Couder, a inscrit au premier rang, parmi
les nombreux candidats à cette place, le
peintre Hébert, l’auteur populaire de la
Mal'aria. Hébert, vous vous en souvenez
peut-être, était, l’an dernier, directeur de
notre Ecole de Rome. C’est dans cette ville
qu’il a peint avec un sentiment religieux
très prononcé, sa Vierge de la Délivrance.