ET DE LA. CURIOSITÉ
51
les drôlesses aux doubles mentons, aux
paupières battues; lentement, la vie a tracé
son sillon tortueux clans la bouffissure de
leur chair, la pensée couve dans leurs yeux.
À côté des Madeleines avachies, des fillettes
aigrelettes, plus délicatement mordues par
le baiser de Peau-forte.
EXPOSITION CÉZANNE
Les admirateurs de Cézanne ont trop
souvent, ici même, commenté leur admira-
tion pour qu'un profane doive revenir au-
jourd'hui sur les grandes qualités et les
petits défauts du précurseur longtemps in-
connu de la foule et qui n'était qu'un nom.
La foule, si lento à s'instruire, restera peut-
être toujours un peu déçue devant l'œuvre :
aussi s'abstient-ellc ! Mais, devant les pay-
sages et les portraits de la galerie Vollard,
dans le désordre habituel et prémédité des
cadres, où le mas méridional avoisine des
Courbet puérils et surtout ces rudes natures
mortes, fleurs et fruits, qui, par Gauguin,
n'ont point manqué d'influencer plus d'un
arriviste d'hier ou plus d'un libre élève do
Gustave Moreau, n'est-il pas loisible au
visiteur de se rappeler l'enthousiasme do
feu Stéphane Mallarmé, célébrant subtile-
ment le prix de cette matière qui toujours
t'ait tort à la forme ?
EXPOSITION GUSTAVE COLIN
Inégale et forte, c'est la matière aussi qui
met son email sur les meilleures composi-
tions de M. Gustave Colin. Ce nom seul
réveille, dans le regard intérieur du souve-
nir, le ciel méridional encore, non plus la
Provence sereine et le Midi grec, mais le sol
tourmenté du pays basque : on pressent
l'Espagne sombre et passionnée en ces grou-
pes robustes aux coiffes éclatantes, qui
s'agitent dans l'obscurité chaude des ruelles
étroites, sur la place petite où le soleil écla-
bousse la muraille blanche aux persiennes
vertes; sous l'indigo puissant d'un pan de
ciel, le balcon presque oriental se découpe
et s'ajoure ; l'atmosphère sarrasine s'échauffe
autour de la corrida qui déploie furieuse-
ment ses roses et ses rouges; le sang coule,
les visages crient, les arènes lumineuses
sont battues par des flots humains; ailleurs,
des coins plus intimes qui semblent un dé-
cor d'opéra-comique, des rues de Giboure,
des grèves d'Hendaye, des marines tumul-
tueusement embrumées sur le golfe de Gas-
cogne, des vallées vertes et des ravins touf-
fus, des cimes chauves ou de grands arbres,
l'àpretô solennelle des Pyrénées espagnoles.
Tel est le drame familier qui plait au vieux
peintre qui fut parmi les jeunes vivifiés par
les dernières luttes : il y a quelque trente
ans, on bataillait encore avec les jurys. Et
la trace des initiateurs est apparente en ces
harmonies d'émeraude et de cinabre. Alors,
on exaltait la Noce juive de Delacroix, ou la
Fontaine du Grand, figuier de Roqueplan ; on
aimait à distinguer ceux que la renommée
négligeait, Dehodencq, Belly, Th.Rousseau;
Goya, que Manet rapportait d'Espagne, n'ef-
frayait plus : ces admirations et ces bou-
tades, toute cette fièvre juvénile a persisté
dans ces toiles un peu savonneuses ou tapa-
geuses parfois, remplies souvent de la
flamme natale, et que les collectionneurs ont
retrouvées aux deux Centennales de 1889 et
1900 comme dans leurs galeries, entre les
fusées romantiques et l'impressionnisme.
EXPOSITION MAURICE COURANT
Le calme renaît, si l'on descend de la ga-
lerie Georges Petit vers le salon des Artistes
modernes que rafraîchit l'air salin des ma-
rines normandes. Le réalisme quitte l'exas-
pération pour la distinction. Dans les eaux
de Trouvillo, où régna modestement l'admi-
rable Eugène Boudin, entre les coteaux de
la Toucques encombrée de vergues, sous la
brise apaisée des soirs tièdes, au soleil cou-
chant, un spectacle quotidien s'offre aux
yeux, conquiert le peintre par la nacre
adoucie de sa splendeur et par son unité.
Point de lyrisme pédantesque, même sous
l'embrun du Gros temps: mais des horizons
allongés, paisibles. Ce repos s'est traduit
sur la palette do M. Maurice Courant. S'il
nous touche, c'est moins par la matière, un
peu mince et froide, que par la perception
fine, un peu grise. Et les fidèles du Champ-
de-Mars connaissaient déjà ces claires ana-
lyses effleurées dans l'évanouissement léger
des ciels.
EXPOSITION DARIO DE RECiOYOS ET FBECHON
Le calme et la fièvre, une même salle des
galeries Durand-Ruel les abrite, en oppo-
sant les Espagnes dégingandées, mouvantes,
do M. Dario de Regoyos, déjà venu parmi
nous, à. l'impressionnisme sage, automnal,
propret, clé M. Charles Fréchon, — dans ce
cadre merveilleusement discret où les mor-
ceaux choisis d'un siècle d'art composent
un véritable musée permanent, toujours
changeant.
Raymond Bouyer.
La Question des Salons
La question des Salons préoccupe les artistes
d'une façon continue, mais en divers sens.
Les uns veulent créer une Société rivale do
celle des Artistes français, oubliant que cette
dernière Société n'a de raison d'être que par sa
situation de fortune encore importante, en dépit
des précédentes erreurs de gestion. Quel intérêt
financier offrirait une nouvelle Société, calquée
sur la précédente, laquelle ne présente qu'un très
relatif intérêt artistique?
Les autres songent à édifier, sur l'emplacement
de la rue des Nations, un immeuble dont la des-
tination soit bien précisée. Mais en même temps,
ils pensent au contenu, et rêvent une sorte
d'Académie indépendante, quoique chose comme
l'Académie Concourt des arts plastiques. C'est par-
fait, en ce qui concerne la construction d'un nou-
veau palais, puisque le Grand Palais n'est bon
que pour l'industrie, les légumes et le concours
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les drôlesses aux doubles mentons, aux
paupières battues; lentement, la vie a tracé
son sillon tortueux clans la bouffissure de
leur chair, la pensée couve dans leurs yeux.
À côté des Madeleines avachies, des fillettes
aigrelettes, plus délicatement mordues par
le baiser de Peau-forte.
EXPOSITION CÉZANNE
Les admirateurs de Cézanne ont trop
souvent, ici même, commenté leur admira-
tion pour qu'un profane doive revenir au-
jourd'hui sur les grandes qualités et les
petits défauts du précurseur longtemps in-
connu de la foule et qui n'était qu'un nom.
La foule, si lento à s'instruire, restera peut-
être toujours un peu déçue devant l'œuvre :
aussi s'abstient-ellc ! Mais, devant les pay-
sages et les portraits de la galerie Vollard,
dans le désordre habituel et prémédité des
cadres, où le mas méridional avoisine des
Courbet puérils et surtout ces rudes natures
mortes, fleurs et fruits, qui, par Gauguin,
n'ont point manqué d'influencer plus d'un
arriviste d'hier ou plus d'un libre élève do
Gustave Moreau, n'est-il pas loisible au
visiteur de se rappeler l'enthousiasme do
feu Stéphane Mallarmé, célébrant subtile-
ment le prix de cette matière qui toujours
t'ait tort à la forme ?
EXPOSITION GUSTAVE COLIN
Inégale et forte, c'est la matière aussi qui
met son email sur les meilleures composi-
tions de M. Gustave Colin. Ce nom seul
réveille, dans le regard intérieur du souve-
nir, le ciel méridional encore, non plus la
Provence sereine et le Midi grec, mais le sol
tourmenté du pays basque : on pressent
l'Espagne sombre et passionnée en ces grou-
pes robustes aux coiffes éclatantes, qui
s'agitent dans l'obscurité chaude des ruelles
étroites, sur la place petite où le soleil écla-
bousse la muraille blanche aux persiennes
vertes; sous l'indigo puissant d'un pan de
ciel, le balcon presque oriental se découpe
et s'ajoure ; l'atmosphère sarrasine s'échauffe
autour de la corrida qui déploie furieuse-
ment ses roses et ses rouges; le sang coule,
les visages crient, les arènes lumineuses
sont battues par des flots humains; ailleurs,
des coins plus intimes qui semblent un dé-
cor d'opéra-comique, des rues de Giboure,
des grèves d'Hendaye, des marines tumul-
tueusement embrumées sur le golfe de Gas-
cogne, des vallées vertes et des ravins touf-
fus, des cimes chauves ou de grands arbres,
l'àpretô solennelle des Pyrénées espagnoles.
Tel est le drame familier qui plait au vieux
peintre qui fut parmi les jeunes vivifiés par
les dernières luttes : il y a quelque trente
ans, on bataillait encore avec les jurys. Et
la trace des initiateurs est apparente en ces
harmonies d'émeraude et de cinabre. Alors,
on exaltait la Noce juive de Delacroix, ou la
Fontaine du Grand, figuier de Roqueplan ; on
aimait à distinguer ceux que la renommée
négligeait, Dehodencq, Belly, Th.Rousseau;
Goya, que Manet rapportait d'Espagne, n'ef-
frayait plus : ces admirations et ces bou-
tades, toute cette fièvre juvénile a persisté
dans ces toiles un peu savonneuses ou tapa-
geuses parfois, remplies souvent de la
flamme natale, et que les collectionneurs ont
retrouvées aux deux Centennales de 1889 et
1900 comme dans leurs galeries, entre les
fusées romantiques et l'impressionnisme.
EXPOSITION MAURICE COURANT
Le calme renaît, si l'on descend de la ga-
lerie Georges Petit vers le salon des Artistes
modernes que rafraîchit l'air salin des ma-
rines normandes. Le réalisme quitte l'exas-
pération pour la distinction. Dans les eaux
de Trouvillo, où régna modestement l'admi-
rable Eugène Boudin, entre les coteaux de
la Toucques encombrée de vergues, sous la
brise apaisée des soirs tièdes, au soleil cou-
chant, un spectacle quotidien s'offre aux
yeux, conquiert le peintre par la nacre
adoucie de sa splendeur et par son unité.
Point de lyrisme pédantesque, même sous
l'embrun du Gros temps: mais des horizons
allongés, paisibles. Ce repos s'est traduit
sur la palette do M. Maurice Courant. S'il
nous touche, c'est moins par la matière, un
peu mince et froide, que par la perception
fine, un peu grise. Et les fidèles du Champ-
de-Mars connaissaient déjà ces claires ana-
lyses effleurées dans l'évanouissement léger
des ciels.
EXPOSITION DARIO DE RECiOYOS ET FBECHON
Le calme et la fièvre, une même salle des
galeries Durand-Ruel les abrite, en oppo-
sant les Espagnes dégingandées, mouvantes,
do M. Dario de Regoyos, déjà venu parmi
nous, à. l'impressionnisme sage, automnal,
propret, clé M. Charles Fréchon, — dans ce
cadre merveilleusement discret où les mor-
ceaux choisis d'un siècle d'art composent
un véritable musée permanent, toujours
changeant.
Raymond Bouyer.
La Question des Salons
La question des Salons préoccupe les artistes
d'une façon continue, mais en divers sens.
Les uns veulent créer une Société rivale do
celle des Artistes français, oubliant que cette
dernière Société n'a de raison d'être que par sa
situation de fortune encore importante, en dépit
des précédentes erreurs de gestion. Quel intérêt
financier offrirait une nouvelle Société, calquée
sur la précédente, laquelle ne présente qu'un très
relatif intérêt artistique?
Les autres songent à édifier, sur l'emplacement
de la rue des Nations, un immeuble dont la des-
tination soit bien précisée. Mais en même temps,
ils pensent au contenu, et rêvent une sorte
d'Académie indépendante, quoique chose comme
l'Académie Concourt des arts plastiques. C'est par-
fait, en ce qui concerne la construction d'un nou-
veau palais, puisque le Grand Palais n'est bon
que pour l'industrie, les légumes et le concours